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comprend cette idée immédiatement ou cherche à la découvrir. C’est qu’en effet la raison seule a pour fonction de comprendre ou de chercher à comprendre.
23. Le roi Balthasar vit les doigts d’une main qui écrivaient sur la muraille ; immédiatement l’image de cet objet s’imprima dans son esprit par le ministère des sens, et elle y resta gravée, après que l’objet eut disparu. Il était alors visible pour l’esprit ; mais au moment où il apparaissait aux yeux sous sa forme matérielle, il n’était et n’avait point encore été compris comme un symbole ; ce ne fut qu’en troisième lieu qu’il apparut comme un symbole, et cela, par une opération de la raison. C’est la raison encore qui faisait rechercher quelle était sa signification. On n’y put réussir, et c’est alors que la raison de Daniel éclairée des lumières prophétiques révéla au roi éperdu l’idée cachée sous ce signe[1]. Ici le don de prophétie, se rattachant à ce mode de vision qui relève de la raison, était supérieur à celui qui ne consistait qu’à voir des yeux du corps le symbole matériel d’une idée et à reconnaître par la réflexion son image transmise à l’esprit, puisque dans ce dernier cas le rôle de la raison se bornait à découvrir que c’était un symbole et à en rechercher la signification.
24. Pierre, dans un ravissement d’esprit, vit une grande nappe suspendue par les quatre coins qui descendait du ciel sur la terre, et il entendit une voix qui lui dit : « Tue et mange. » Revenu à lui-même, il cherchait à s’expliquer la vision qu’il avait eue, lorsque les hommes envoyés par Corneille arrivèrent, et l’Esprit lui dit : « Voilà des hommes qui te demandent ; lève-toi donc, descends et n’hésite pas à aller avec eux ; car c’est moi qui les ai envoyés. » Arrivé chez Corneille, l’Apôtre révéla lui-même le sens de la vision où il avait entendu une voix lui dire : « N’appelle point impur ce que Dieu lui-même a purifié. » Il dit en effet : « Dieu m’a appris à ne regarder aucun homme comme impur ou profane[2]. » Ainsi, au milieu du transport qui lui faisait voir cette nappe, ce fut avec le concours de l’esprit qu’il entendit les mots « mange et tue » et « ce que Dieu a purifié, ne le regarde pas comme impur. » Revenu à lui-même, il reconnaissait également avec le concours de l’esprit les formes ou les paroles qu’il se souvenait d’avoir perçues pendant la vision. Ce n’était pas des corps mais les images de ces corps qu’il contemplait, soit au moment qu’il considérait cette vision dans son ravissement, soit au moment qu’elle revenait à son.espritet qu’il y réfléchissait. Mais ; lorsqu’il était en peine de ce que signifiait cette,.vision, c’était sa raison qui faisait un effort pour comprendre, et qui restait impuissante jusqu’à l’arrivée des envoyés de Corneille. À la vue de cet homme jointe à l’ordre que l’Esprit-Saint fit de nouveau entendre à son esprit, où déjà les signes s’étaient gravés, où avaient retenti ces paroles ; : « Marche avec eux » sa raison éclairée des lumières divines comprit le sens attaché à tous ces symboles. L’analyse de ces visions et autres semblables fait assez comprendre que la vision sensible se rapporte à la vision spirituelle et celle-ci à son tour à la vision rationnelle.

CHAPITRE XII. RAPPORTS ENTRE LA VISION SENSIBLE ET LA VISION SPIRITUELLE.


25. Lorsque nous voyons les objets extérieurs, sans être transportés hors de nous-mêmes et à l’état de veille, nous distinguons nettement cette vision de la vision spirituelle qui nous permet de concevoir les objets en leur absence sous forme d’images ; soit à l’aide de la mémoire qui nous rappelle des choses connues, soit à l’aide de l’imagination qui nous représente des choses, inconnues, quoique réelles, soit enfin par une libre création de formes qui n’existent que dans notre esprit. Nous établissons, dis-je, une distinction si profonde entre ces imaginations et les objets réels qui frappent les sens, que nous n’hésitons jamais à voir, ici, des corps, là, des représentations de corps. Arrive-t-il que sous l’influence d’une idée fixe, d’une maladie qui, comme la fièvre, jette dans le délire, d’un commerce intime avec un Esprit bon ou mauvais, les images des objets se peignent dans l’esprit avec la même vivacité que si les objets étaient présents, sans que toutefois l’action des sens soit suspendue ? Alors les images des objets qui se peignent dans l’esprit apparaissent comme si les objets eux-mêmes frappaient les sens ; de là ce phénomène qui consiste à voir réellement un homme en face de soi, et tout ensemble à s’en figurer un autre, comme avec les yeux, par la force de l’imagination. J’ai vu des gens qui s’entretenaient avec les personnes présentes et adressaient en même temps la parole à un être imaginaire

  1. Dan. 5, 5-28
  2. Act. 10, 10-28