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Mais l’Apôtre ne doute pas et ne nous laisse point douter de l’existence de ce troisième ciel où il a été ravi : « Je sais » dit-il tout d’abord, et pour ne pas croire à cette vérité, il faut cesser de croire à l’autorité même de l’Apôtre.

CHAPITRE IV. DU L’EXISTENCE DU TROISIÈME CIEL OU L’APÔTRE FUT RAVI. – OBJECTION.


9. Il sait donc qu’un homme a été ravi jusqu’au troisième ciel : ainsi ce ciel existe réellement. Il n’y a point là de signe matériel, analogue à celui qui fut montré a Moïse ; Moïse lui-même sentait si bien la distance qui séparait l’essence divine de la forme visible que Dieu empruntait pour apparaître aux regards d’un homme, qu’il disait au Seigneur : « Montrez-vous vous-même à moi[1]. » Ce n’est pas non plus un emblème sous la forme d’un être réel semblable à ceux que Jean voyait en esprit, quand il en demandait la signification et qu’on lui répondait : « C’est une cité » ou bien « Ce sont les peuples » ou tout autre chose, lorsqu’il voyait par exemple la bête, la grande prostituée, les eaux et autres allégories du même genre[2]. « Je sais, dit l’Apôtre, qu’un homme fut ravi au troisième ciel. »
10. S’il avait eu dessein d’appeler ciel l’image immatérielle d’un corps, il aurait vu au même titre une image dans le corps avec lequel il fut ravi et transporté dans ce séjour idéal ; il prendrait donc un fantôme pour son propre corps, un ciel imaginaire pour le ciel même ; mais alors il n’aurait plus aucune raison pour distinguer entre ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas, je veux dire, entre la certitude d’avoir été ravi au troisième ciel, et le doute s’il y fut transporté avec ou sans son corps : il exposerait simplement sa vision et donnerait aux images qu’il avait contemplées le nom des êtres réels dont elles étaient la représentation. Nous-mêmes, quand nous racontons un rêve ou ce que nous avons vu en songe, nous disons : j’ai vu une montagne, j’ai vu un fleuve, j’ai vu trois hommes, et ainsi du reste ; nous désignons l’image par le mot même qui sert à nommer l’être qu’elle représente. Il n’en est pas de même de l’Apôtre : il est certain sur un point, il est dans l’ignorance sur un autre.
11. A-t-il vu en imagination et le ciel et son corps ? Alors il y a également certitude ou ignorance sur ces deux points. Or, s’il a vu le ciel en-lui-même, et par conséquent s’il a sur ce point certitude absolue, comment aurait-il vu seulement son corps sous une forme idéale ?
12. Voyait-il un ciel matériel ? Pourquoi ignorer qu’il le voyait avec les yeux du corps ? Ne savait-il pas s’il le voyait en esprit ou avec les yeux du corps, et aurait-il dit par suite de cette incertitude : « Je ne sais si ce fut avec ou sans son corps ? » Comment ne pas douter alors si le ciel qu’il avait vu était une réalité ou une simple image ? Était-ce au contraire une nature spirituelle, sans aucune image pour la peindre à l’esprit, telle qu’apparaît la justice, la sagesse, et autres conceptions de ce genre ? Il est encore évident qu’un pareil ciel n’a pu tomber sous les sens ; par conséquent, s’il savait qu’il avait contemplé un semblable idéal, il devait être pour lui hors de doute que ce n’était pas à l’aide des sens. « Je sais, dit-il, qu’un homme fut ravi il y a quatorze ans. » Je sais cela, on ne peut en douter sans cesser de croire en moi ; « Mais si ce fut avec ou sans son corps, c’est ce que je ne sais pas. »

CHAPITRE V. RÉFUTATION DE L’OBJECTION.


13. Eh bien ! Que sais-tu donc pour le distinguer de ce que tu ignores ? réponds, afin de ne pas induire les fidèles en erreur. « Je sais qu’un homme fut ravi au troisième ciel. » Ce ciel était matériel ou spirituel. S’il était matériel, il est apparu aux yeux du corps ; pourquoi donc connaître ce ciel et ne pas savoir du même coup s’il a été vu des yeux du corps ? S’il était spirituel, est-il apparu sous une forme réelle ? Alors il est aussi impossible de décider si c’était une réalité qu’il l’est de déterminer s’il a été visible aux yeux. Est-il au contraire apparu à l’esprit, comme ferait l’idée de justice, sans le concours d’aucune image sensible, et par conséquent des organes ? Alors il doit y avoir absolument certitude ou incertitude : autrement d’où vient la certitude sur l’objet lui-même, et l’incertitude sur le mode de perception ? Il est trop clair en effet que ce qui est immatériel ne peut-être perçu par les sens. S’il est possible de voir les corps en dehors du corps même, cette vue est indépendante des sens et suppose un mode de perception tout différent, quelqu’il soit. Mais il serait par trop étrange que l’Apôtre eût été trompé ou laissé dans le doute par ce mode de perception,

  1. Exode 32, 13
  2. Apoc. 13, 1 ; 17, 15-18