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humaine. Et s’il leur apparaissait sous la même forme qu’il se montra à Abraham, au pied du chêne de Mambré[1], afin de leur parler comme un homme à un homme, ils durent après leur péché trouver un nouveau sujet de honte dans cette tendresse voisine de l’amitié qui, avant le péché, leur inspirait tant de confiance. Aussi n’osaient-ils plus montrer à ces yeux divins une nudité que leur propre vue était in capable de supporter.

CHAPITRE XXXV. EXCUSES D’ADAM ET D’ÈVE.


47. Le Seigneur qui voulait interroger les coupables, comme l’exige la justice, et leur infliger un châtiment plus sévère que la honte qu’ils éprouvaient, dit à Adam : « Et comment sais-tu que tu étais nu, sinon pour avoir mangé du seul arbre dont je t’avais défendu de manger ? » Cette faute en effet, leur avait communiqué un principe de mort, selon l’arrêt du Seigneur, qui, accomplissant sa menace, leur avait fait sentir le trouble de la concupiscence au moment où leurs yeux s’ouvrirent, et la confusion qui en était la suite. « Et Adam dit : La femme que vous avez mise avec moi, m’a présenté de ce fruit et j’en ai mangé. » Quel orgueil ! Dit-il : J’ai péché ? Non. Il éprouve la confusion dans toute sa laideur, il n’a pas assez d’humilité pour avouer sa faute. Ces paroles nous ont été transmises, parce que ces.demandesont été faites en vue de nous être rapportées fidèlement et de nous servir de leçons, car si elles étaient fausses, elles ne pourraient être instructives : elles étaient donc destinées à nous montrer jusqu’où va l’orgueil chez l’homme qui, aujourd’hui encore, rend Dieu responsable de ses crimes en s’attribuant à lui-même toutes ses vertus. « La femme que vous avez mise avec moi » c’est-à-dire que vous m’avez donnée pour compagne, m’a présenté de ce fruit et j’en ai mangé ; il semblerait à l’entendre, qu’elle lui avait été donnée pour lui désobéir et le rendre avec elle infidèle à Dieu.
48. « Et le Seigneur dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : Le serpent m’a séduite et j’ai mangé du fruit. » Eve non plus ne reconnaît pas sa faute et la rejette sur un autre : c’est le même orgueil dans les deux sexes. Voilà pourtant les ancêtres de celui qui, éprouvé par une foule de disgrâces, s’est écrié, sans imiter leur orgueil, et s’écriera jusqu’à la fin des siècles : « J’ai dit : Seigneur ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous[2]. » Qu’il eût mieux valu pour eux tenir ce langage ! Mais Dieu n’avait point encore brisé la tête des pécheurs[3]. Il fallait attendre les afflictions, les horreurs de la mort, les angoisses des générations, la grâce qu’au moment opportun Dieu enverrait aux hommes, après leur avoir appris dans les souffrances à ne point présumer de leurs forces. « Le serpent m’a séduite. » Fallait-il donc préférer au commandement de Dieu le conseil de qui que ce fût ?

CHAPITRE XXXVI. MALÉDICTION DU SERPENT.


49. « Et le Seigneur Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tous les animaux et entre toutes les bêtes qui sont sur la terre. Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai de l’inimitié entre toi et la femme, entre sa postérité et la tienne. Elle t’épiera à la tête et tu chercheras à la mordre au talon. » Cet arrêt doit être entendu au figuré ; il a été prononcé, mais c’est là tout ce qu’oblige à croire la sincérité de l’historien et la vérité infaillible de son récit. Les mots : « Le Seigneur Dieu dit au serpent » appartiennent au narrateur, il faut les prendre à la lettre, en d’autres termes, l’arrêt a été prononcé réellement contre le serpent. Quant aux paroles mêmes de Dieu, le lecteur a toute liberté d’examiner s’il faut les entendre à la lettre ou au figuré, d’après le principe que nous avons posé au début de ce livre [4]. Ainsi donc le serpent n’a été soumis à aucun interrogatoire, c’est peut-être qu’il n’avait point agi librement d’après ses instincts ; il n’avait été que l’instrument aveugle du démon qui était déjà destiné au feu éternel, à la suite du péché que lui avait fait commettre l’impiété et l’orgueil. Mais tout ce qui s’adresse au serpent et par conséquent à celui qui s’en est fait un instrument, ne peut être pris qu’au figuré : c’est le portrait même du tentateur, tel qu’il devait se montrer un jour au genre humain, dont l’origine remonte du reste à l’époque même où cet arrêt fut prononcé contre le démon sous la figure du serpent. Quel sens faut-il attacher à ces paroles prophétiques ? c’est une question que j’ai tâché

  1. Gen. 18, 1
  2. Ps. 40, 5
  3. Id. 128
  4. Ci-dessus, n. 2