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toutes les séductions du diable sous la figure du serpent : ce point s’éclaircira quand nous arriverons à la malédiction que Dieu fit tomber sur cette bête.

CHAPITRE XXIX. DE LA PRUDENCE DU SERPENT.


36. Si le serpent a été appelé le plus prudent, c’est-à-dire, le plus rusé de tous les animaux, il doit cette épithète à. la ruse même du démon qui s’en était fait un instrument pour triompher on appelle, au même titre, fine et rusée la langue dont se sert un esprit fin et rusé pour séduire. Ces qualités, en effet, n’appartiennent point à l’organe qu’on nomme langue, mais à l’intelligence qui la fait mouvoir. C’est par la même figure qu’on qualifie de menteuse la plume d’un écrivain ; le mensonge suppose un être animé et raisonnable, mais, comme la plume est l’instrument du mensonge, on la qualifie de menteuse. On pourrait de la même façon appeler menteur le serpent, devenu entre les mains du diable, comme la plume entre les mains d’un écrivain sans foi, un instrument de mensonge.
37. J’ai cru devoir taire ces observations, afin d’empêcher les esprits de croire que les animaux sans raison puissent jamais acquérir le don de la raison humaine, ou réciproquement qu’un être raisonnable puisse tout-à-coup se métamorphoser en bête ; et de les soustraire ainsi à l’opinion aussi criminelle que ridicule selon laquelle les âmes des bêtes passent dans le corps des hommes ou les âmes des hommes dans le corps des bêtes. Le serpent parla à l’homme, comme fit l’âne sur lequel était monté Balaam[1] ; avec cette différence que l’un fut l’organe du diable et l’autre d’un Ange. Les œuvres des bons et des mauvais Anges se ressemblent quelquefois, comme celles de Moise et des magiciens de Pharaon[2], Mais là encore les bons Anges ont une puissance supérieure, ou plutôt les mauvais Anges ne peuvent produire ces effets, qu’autant que Dieu le leur permet par l’intermédiaire des bons Anges, afin que chacun reçoive un salaire proportionné à ses intentions ou à la grâce de Dieu, toujours juste, toujours bon, « dans l’abîme des trésors de sa sagesse[3]. »

CHAPITRE XXX. ENTRETIEN DU SERPENT AVEC LA FEMME.


38. Le serpent dit à la femme : « Eh quoi ! Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres qui sont dans le Paradis ? La femme répondit au serpent : Nous mangeons du fruit de tout arbre qui est dans le Paradis ; quant à l’arbre qui est au milieu, Dieu nous a dit : Vous n’y toucherez pas et vous n’en mangerez pas, ou vous mourrez. » Ainsi le serpent s’adresse le premier à la femme, qui lui fit cette réponse ; de sorte que sa faute fut sans excuse et qu’on ne put dire qu’elle avait oublié le commandement divin. L’oubli d’un commandement unique et si important serait déjà une négligence condamnable ; cependant le délit est d’autant plus flagrant, qu’Eve se rappelle l’ordre de Dieu et le méprise en quelque sorte sous ses yeux. Le Psalmiste après avoir dit : « Ils gardent le souvenir de ses commandements » a donc bien raison d’ajouter : « afin de les observer. » Souvent en effet on ne se souvient du commandement que pour le braver, et le péché est d’autant plus grave qu’on n’a pas l’oubli pour excuse.
39. Le serpent dit donc à la femme : « Vous ne mourrez point. Dieu savait en effet que le jour où vous mangerez de cet arbre, vos yeux seront ouverts et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme aurait-elle pu se laisser persuader par ces paroles que Dieu leur avait défendu une chose bonne et utile, si elle n’avait déjà conçu de sa propre force un amour secret et comme une haute idée, que la tentation devait dévoiler et rabattre D’ailleurs, non contente d’écouter le serpent, elle jette les yeux sur l’arbre, « elle voit que le fruit était bon à manger et agréable à la vue. » S’imaginant qu’il n’était pas capable de lui donner la mort et que sans doute Dieu n’avait attaché qu’un sens allégorique à cette menace : « Vous mourrez de mort, si vous en mangez » elle prit le fruit, en mangea et en donna à son mari, en ajoutant sans doute quelque parole engageante, que laisserait supposer le silence de l’Écriture, à moins que l’homme, en voyant que sa femme n’en était pas morte, n’eût plus besoin d’encouragement.

  1. Nb. 22, 28
  2. Exod. 7, 10-11
  3. Rom. 11, 33