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c’est une hypothèse qui n’est guère vraisemblable : tout au plus pourrait-on avancer que certains Anges furent créés pour remplir différents emplois dans la création, sous le commandement d’autres Anges plus élevés et plus heureux, et pour recevoir, à proportion de leurs services, une existence plus fortunée et plus haute qui aurait pu leur être révélée, et dont l’espoir, en les charmant, aurait été, pour eux un titre sérieux au bonheur. Si Satan avec ses complices est tombé de ce rang, on peut comparer sa chute à celle des hommes qui abandonnent la justice de la foi, soit parce qu’ils se laissent comme lui entraîner par l’orgueil, soit parce qu’ils s’égarent eux-mêmes ou cèdent aux séductions du tentateur.
26. Assurez, si vous le pouvez, l’existence de ces deux ordres de saints Anges : l’un, au-dessus du ciel, qui ne compta jamais parmi ses membres l’Ange transformé en démon à la suite de sa chute ; l’autre, établi dans le monde et auquel le démon appartenait. Je ne trouve aucun passage dans l’Écriture pour appuyer cette opinion, je l’avoue : mais comme la question de savoir si le démon a eu le pressentiment de sa chute me semblait embarrassante, et que je ne saurais me résoudre à dire qu’il ait pu exister, même un moment, des Anges qui n’avaient pas la certitude de leur bonheur, j’ai avoué qu’on avait quelque raison de croire que le démon tomba à l’origine du temps ou à la suite de la création, et qu’il ne demeura jamais dans la vérité.

CHAPITRE XX. LE DÉMON A-T-IL ÉTÉ CRÉÉ MÉCHANT.


27. De là vient une autre opinion : on a prétendu que le démon ne s’était point tourné au mal par un libre choix de sa volonté, mais qu’il était né méchant, quoiqu’il fût sorti des mains du Créateur véritable et souverain de tous les êtres. A l’appui on cite un passage du livre de Job où il est dit en parlant du diable : « C’est le premier être créé parle Seigneur pour servir de jouet à ses Anges[1]. » On trouve dans les Psaumes une pensée tout à fait analogue : « Ce dragon que vous avez formé pour servir de jouet [2]. » La seule différence c’est que le mot premier(initium) n’est pas dans le Psalmiste ; il semblerait donc qu’il a été créé primitivement malin, envieux, séducteur, enfin avec tous les vices qui le distinguent, ad lieu de s’être corrompu librement.

CHAPITRE XXI. RÉFUTATION DE CETTE OPINION.


28. Je sais bien qu’on essaie de concilier cette opinion avec le passage de la Genèse : « Dieu fit toutes ses œuvres excellentes [3] » on assure avec quelque apparence de justesse et de logique, que dans la création primitive aussi bien que dans le monde actuel où tant de volontés se sont perverties, la nature en général est excellente ; non que les méchants soient bons, mais c’est que leur malice ne peut ni altérer ni troubler le magnifique concert de la création sous le gouvernement plein de sagesse et.deforce du Dieu qui y règne. Car, ajoute-t-on, les volontés même mauvaises ont un pouvoir renfermé dans des limites si nettement déterminées, leurs actes ont des suites si justes, qu’elles s’ordonnent.harmonieusementdans l’ensemble et lui laissent toute sa beauté. Cependant, comme c’est un principe aussi simple qu’incontestable que Dieu ne pourrait avec justice condamner, sans une faute intérieure, le caractère même qu’il aurait donné à un être, et qu’il n’y a d’autre part rien de plus certain, de plus infaillible que la damnation du diable avec ses Anges, puisque d’après l’Évangile le Seigneur dira aux pécheurs placés à sa gauche : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses Anges[4]; » il faut absolument renoncer à l’idée que Dieu doit châtier en lui par le supplice du feu éternel la nature qui est son ouvrage, et non des fautes personnelles.

CHAPITRE XXII. SUITE DU MÊME SUJET : ANALYSE DU TEXTE PRÉCITÉ.


29. Dans le passage de Job : « Il est le premier être créé par Dieu pour servir de jouet àses anges » il ne faut pas voir la nature même de Satan, mais le corps aérien que Dieu lui donna dans un juste rapport avec son caractère, ou le rôle qu’il lui assigna, en l’obligeant à rendre malgré lui service aux justes ; on peut encore dire qu’il prévoyait sa malice et sa chute, mais qu’il eut la bonté de ne pas refuser l’être et la vie à une volonté qui devait tourner au mal, en sachant d’avance tout le bien que sa bonté et sa puissance infinie tireraient de ce fléau. Par conséquent

  1. Job. 40, 4 ; sect. LXX
  2. Ps. 103, 2 6
  3. Gen. 1, 31
  4. Mt. 15, 41