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d’après les idées que Dieu m’accorde et qu’il me permet d’exposer, que l’homme n’aurait guère mérité d’éloges, s’il n’avait pu pratiquer le bien qu’à la condition de n’être jamais exhorté.aumal ; puisqu’il avait la puissance, et dès lors devait avoir la volonté de repousser ces conseils, avec l’aide de Celai qui résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles[1]. Pourquoi donc Dieu, tout en sachant que l’homme succomberait, n’aurait-il pas permis qu’il fût tenté, puisque la faute dépendrait de la volonté humaine, et que le châtiment infligé par la justice divine rétablirait l’ordre ? N’était-ce pas apprendre aux âmes orgueilleuses pour l’édification des saints futurs, que Dieu disposait équitablement de leurs volontés même coupables, tandis qu’elles faisaient un si mauvais usage des natures créées bonnes ?

CHAPITRE V. LA CHUTE DE L’HOMME VIENT DE L’ORGUEIL.


7. Le tentateur n’aurait pu réussir à triompher de l’homme, s’il ne s’était laissé auparavant emporter à un mouvement d’orgueil, lequel dut être réprimé afin de lui faire sentir par l’humiliation de sa faute combien il avait eu tort de présumer de lui-même. Car la Vérité même s’exprime ainsi. « Le cœur s’exalte avant la chute, il s’humilie avant la gloire[2]. » On retrouve peut-être l’accent de ce pécheur dans ces paroles du Psalmiste : « Quand j’étais dans la prospérité, je disais : « Je ne serai jamais ébranlé. » Mais, après avoir éprouvé les funestes effets de l’orgueil, qui s’enivre de sa puissance, et ressenti les bienfaits de la protection divine, il s’écrie : « Seigneur, c’était par pure bonté que vous m’aviez affermi dans cet état florissant ; vous avez caché votre face, et j’ai été tout éperdu[3]. » Mais quel que soit le personnage dont il est ici question, il n’en fallait pas moins donner une leçon à l’âme qui s’exalte et qui compte trop sur ses propres forces, et lui faire sentir, par les tristes suites du péché, tout le malheur qui attend la créature, quand elle se sépare du Créateur. On découvre mieux que Dieu est le souverain bien, envoyant que loin de lui il n’y a pas de bien : car ceux qui goûtent le poison mortel des voluptés, ne peuvent s’empêcher de craindre la rigueur du châtiment ; quant à ceux qui, tout étourdis par l’orgueil, ne sentent plus combien leur désertion est funeste, ils sont plus malheureux encore que ceux qui ont conscience de leur état : repoussant le remède qui les guérirait de leurs erreurs, ils ne font pins que servir d’exemple aux autres pour leur en inspirer le dégoût. « Chacun est tenté, dit l’Apôtre Jacques, par l’attrait et les amorces de sa propre convoitise. Quand la concupiscence a conçu, elle enfante le péché, et le péché, étant consommé, engendre la mort[4]. » Mais, l’enflure de l’orgueil guérie, on renaît à la vie, quand, après l’épreuve, on retrouve, pour revenir à Dieu, la volonté qui avait manqué avant l’épreuve pour lui rester fidèle.

CHAPITRE VI. POURQUOI DIEU A-T-IL PERMIS LA TENTATION ?


8. On s’étonne quelquefois que Dieu ait permis que le premier homme fût – tenté : mais ne voit-on pas qu’aujourd’hui encore le genre humain est.sanscesse en butte aux ruses du démon ? Pourquoi Dieu le permet-il ? N’est-ce pas pour mettre la vertu à l’épreuve ? N’est-ce pas titi triomphe plus glorieux de résister à la tentation, que d’être soustrait à la possibilité même d’être tenté ? Ceux mêmes qui renoncent au Créateur pour courir sur les pas du tentateur, ne font que multiplier les tentations pour les âmes fidèles, en même temps qu’ils leur ôtent par leur exemple l’envie de fuir avec eux, et leur inspirent une crainte salutaire de l’orgueil. De là ce mot de l’Apôtre : « Regardant à toi-même, de peur que toi aussi tu ne sois tenté[5]. » Car l’humilité qui nous assujettit au Créateur, et qui nous empêche de présumer assez de nos forces pour croire, que nous pouvons nous passer de son secours, nous est recommandée dans toute la suite de l’Écriture avec une attention frappante. Puis donc que les âmes pieuses et justes se perfectionnent par l’exemple même de l’impiété et de l’injustice, on n’est plus en droit de dire que Dieu n’aurait pas dû créer les hommes dont il prévoyait l’existence criminelle. Pourquoi ne pas les créer, puisqu’ils doivent servir, comme Dieu l’a prévu, à éprouver, à tenir en éveil les cœurs droits, et qu’en outre ils doivent subir le châtiment que mérite leur mauvaise volonté ?

  1. Jer. 4, 6
  2. Prov. 16, 18
  3. Ps. 29, 7-8
  4. Jacq. 1, 14-15
  5. Gal. 6, 1