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sexes il s’est formé un homme, quand la semence bénie d’Abraham a servi aux Anges pour former le Médiateur[1]. Qu’un païen voie dans ce double prodige une double absurdité ; soit ; mais pourquoi un Chrétien qui reconnaît à la lettre la formation du Messie, s’imaginerait-il que tout est allégorique dans la formation d’Eve ? Quoi ! un homme peut naître d’une femme Vierge, et une femme ne saurait venir d’un homme ? Le sein d’une vierge contenait le germe d’un homme, elles flancs d’un homme n’auraient pas renfermé le germe d’une femme, et cela quand l’une était une servante qui donnait le jour à son maître, l’autre un serviteur qui produisait sa servante ? Le Seigneur aurait pu aussi former son propre corps d’une côte ou de tout autre membre de la Vierge : mais au lieu de renouveler pour ce corps le prodige autre fois accompli, il nous a donné un enseignement plus utile, et fait voir, dans la personne de sa mère, que rien n est à condamner dans la chasteté.

CHAPITRE XVII. LE PRINCIPE DONT LA FEMME DEVAIT SORTIR ÉTAIT-IL RENFERMÉ DANS LA CRÉATION VIRTUELLE DE L’HOMME AU SIXIÈME JOUR


31. Ici s’offre une question : l’acte par lequel Dieu créa virtuellement l’homme mâle et femelle, comme dit la Genèse[2], et le fit à son image et à sa ressemblance, lorsqu’il forma primitivement les causes génératrices de tous les êtres, cet acte, dis-je, impliquait-il que la femme sortirait des flancs de l’homme par une conséquence rigoureuse, ou ne faisait-il que rendre sa formation possible, de telle sorte que la naissance de la femme loin d’être établie nécessairement en principe, aurait été un mystère caché en Dieu ? Je veux répondre à cette question, selon mes lumières sans rien trancher : toutefois, j’espère que les esprits pénétrés de la vérité chrétienne, en pesant mes paroles, trouveront ma proposition incontestable, dussent-ils l’entendre pour la première fois.
32. La nature, dans son cours ordinaire, est soumise à des lois qui produisent même chez les êtres vivants certaines tendances auxquelles la volonté la plus rebelle ne peut se soustraire. Dans le monde physique, les éléments ont chacun leurs propriétés, qui déterminent la mesure des effets qu’ils peuvent produire et en dehors desquelles ils n’agissent plus. Tous les êtres trouvent dans ces causes primordiales les principes qui les font naître, se développer et périr, chacun selon son espèce. De là vient qu’une fève ne saurait sortir d’un grain de blé, ni un grain de blé d’une fève, qu’un animal ne saurait engendrer l’homme, ni l’homme un animal. Au-dessus du cours naturel des choses s’élève la puissance du Créateur, qui trouve en elle-même le moyen de faire produire à toutes ces causes des effets, qu’elles ne contenaient pas à l’origine. Je ne veux point dire que Dieu m’ait pas mis en elles la possibilité de se prêter à ses desseins : car, son pouvoir absolu ne repose pas sur une force aveugle, mais sur une, puissance intelligente ; il tire de chaque cause au moment qu’il a fixé, l’effet dont il avait auparavant établi la possibilité. Ainsi des lois différentes règlent les divers modes de la germination chez les plantes, déterminent la fécondité ou la stérilité selon les âges, valent à l’homme le don de la parole refusé aux animaux. Les principes de ces lois et autres semblables ne résident pas seulement en Dieu ; ils ont été déposés par lui dans les choses et créés avec elles. Mais qu’une verge, un rameau desséché, poli, sans racine et sans communication avec le sol, fleurisse tout-à-coup et se couvre de fruits[3]; qu’une femme stérile dans sa jeunesse enfante sur ses vieux jours[4]; qu’une ânesse parle[5]; tout en admettant que Dieu a rendu ses créatures capables de devenir l’instrument de pareils prodiges, puisqu’il ne saurait en tirer des effets qu’il leur aurait d’avance interdit de produire, sous peine de surpasser sa propre puissance, il faut bien reconnaître qu’il leur a attribué, en dehors des lois ordinaires de la nature, un mode spécial et inhérent à leur création même, de rester plus complètement soumises à la puissance souveraine de sa volonté.

CHAPITRE XVIII. LA FORMATION DE LA FEMME A EU UNE CAUSE SYMBOLIQUE.


33. Par conséquent il y a des effets dont Dieu conserve en lui-même la cause mystérieuse, au lieu de la déposer au fond même des choses pour produire ces effets, il n’agit point en vertu de cette providence qui établit les êtres dans les conditions essentielles de leur existence,

  1. Gal. 3, 19
  2. Gen. 1, 27
  3. Nb. 17, 8
  4. Gen. 18, 11 ; 21, 2
  5. Nb. 22, 28