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il de lui qu’elle se pénètre des sucs de la terre, qu’elle pousse à la fois son jet et les racines qui l’attachent au sol, qu’elle se développe dans les airs pour y puiser la force et étende de tous côtés ses rameaux ? Non, c’est l’œuvre de celui qui donne l’accroissement. Un médecin peut administrer un remède à un malade, bander une blessure ; mais d’abord il ne crée pas le fond de ses médicaments, il les emprunte aux œuvres mêmes du Créateur ; ensuite ; s’il peut préparer une potion et la faire boire, s’il peut composer un topique et l’appliquer sur une partie malade, est-il pour cela capable de ranimer les forces et de créer une chair nouvelle ? Non, la nature opère ce prodige par un mouvement mystérieux et qui échappe à nos regards. Que Dieu fasse disparaître ces ressorts imperceptibles par lesquels il forme et renouvelle l’organisation ; aussitôt elle se déconcerte et s’anéantit.
28. Ainsi, puisque Dieu gouverne la nature universelle en agissant à la fois dans le monde physique et moral, comme nous l’avons démontré [1], il faut admettre qu’un Ange est aussi incapable de créer un être que de se créer lui-même. En se soumettant pleinement à Dieu et en exécutant ses ordres, l’Ange peut gouverner selon les lois de la nature les êtres inférieurs qui sont l’objet de son activité : il peut, dis-je, produire dans le temps, en suivant les principes incréés qui résident dans le Verbe ou les causes primordiales qui furent créées dans l’œuvres des six jours, et en cela il ressemble au laboureur et au médecin. Mais quelle espèce de concours les Anges prêtèrent-ils à Dieu, lors de la formation de la femme ?. Comment trancher une pareille question ? Un point incontestable selon moi, c’est que si la chair prit la place d’une côte d’Adam, si la femme se forma de son corps ; son âme, ses sens, en un mot l’appareil des organes et l’ensemble des facultés qui la rattachent à l’homme, ce fut l’œuvre de Dieu. Sans recourir à ses Anges, sans abandonner son ouvrage pour le reprendre, il le continue encore aujourd’hui, en vertu de cette activité qui, si elle s’interrompait, laisserait retomber dans le néant tous les êtres avec les Anges eux-mêmes.

CHAPITRE XVI. L’ESPRIT HUMAIN INCAPABLE DE COMPRENDRE LES ŒUVRES DE DIEU.


29. L’expérience, aussi loin que la portée de l’esprit humain peut s’étendre, nous a révélé comme les sources où un corps animé et sensible prend naissance : les éléments, ainsi l’eau et la terre ; les plantes ou les fruits, la chair même des animaux,.par exemple les vers et les insectes de toute espèce ; enfin l’union des sexes. Mais nous ne voyons par aucun exemple que de la chair d’un animal il naisse un animal qui soit un autre lui-même, en dehors des modifications particulières à son sexe. Ainsi nous avons beau chercher dans la création des analogies pour nous expliquer par quel secret la femme fut formée d’une côte de l’homme, nous n’en trouvons pas. Pourquoi ? C’est que nous voyons bien comment l’homme agit ici-bas et que nous ignorons comment agissent les Anges, ces laboureurs de la nature universelle. Si le cours des lois naturelles produisait toutes les plantes sans le contour de l’industrie humaine, notre science se bornerait à connaître que les arbres et les végétaux naissent dans la terre des semences qui s’y étaient déposées saurions-nous que la greffe est capable de faire porter à un arbre des fruits d’une autre espèce et pour ainsi dire adoptifs ? C’est un secret que nous révèle le travail de l’horticulteur, quoiqu’on ne puisse à aucun titre voir en lui un créateur d’arbres, puisqu’il ne fait que prêter son aide au Dieu qui seul crée le cours de la nature. Son œuvre serait stérile, si l’œuvre de Dieu n’en contenait pas les germes dans ses profondeurs. Est-il donc surprenant que nous ignorions comment il est sorti d’un os de l’homme un être semblable à lui, puisque nous ne savons même pas quelle part les Anges prennent aux créations divines ? Saurions-nous qu’un arbre se transforme par la greffe en un autre arbre, si nous ignorions le concours que l’horticulteur prête à cette création de Dieu ?
30. Cependant nous ne pouvons douter que l’homme, aussi bien que les arbres, n’ait d’autre Créateur que Dieu. Nous croyons fermement que la femme est sortie de l’homme sans être le fait d’une union charnelle, encore que la côte de l’homme ait pu être façonnée par les Anges dans cette création divine ; nous croyons au même titre qu’en dehors de tout commerce des

  1. Ci-dessus, liv. 8, ch. 9, XXI-XXVI