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d’animaux servent à cette humble partie de l’univers, n’a-t-on pas un spectacle ravissant ? Comment donc croire sans une sorte de folie que la terre aurait perdu de sa magnificence en se peuplant de justes immortels ?
15. La cité céleste des anges étant assez peuplée, le mariage n’y serait nécessaire qu’autant que la mort y régnerait. Or, le nombre de ses habitants doit être achevé par la résurrection des saints qui iront se joindre aux anges, comme l’a prédit Notre-Seigneur en disant : « Après la résurrection ni la femme ni l’homme ne se marieront : car, ils ne mourront plus et seront égaux aux anges[1]. » Mais ici-bas quand les hommes devaient remplir la terre et que les rapports étroits qui lient l’espèce humaine et en font l’unité ne pouvaient mieux éclater que dans la communauté d’origine, la femme pouvait-elle avoir une autre fonction que de seconder le père du genre humain comme la terre aide à la production des plantes ?

CHAPITRE X. LA CONCUPISCENCE EST UNE MALADIE NÉE DU PÉCHÉ.


16. Toutefois il est plus sûr et tout ensemble plus noble de croire que le premier couple humain, tel qu’il était dans le Paradis avant d’être condamné à la mort, ne connaissait pas les voluptés sensuelles qu’éprouvent aujourd’hui tous ceux qui sont sortis de cette tige de mort. Il est impossible en effet qu’il ne se soit pas produit de changements en eux lorsqu’ils eurent touché à l’arbre défendu ; car le Seigneur ne leur avait pas dit qu’ils mourraient de mort, quand ils auraient mangé du fruit défendu, mais bien le jour même qu’ils en mangeraient[2]. Par conséquent ils ont dû voir se révéler en eux ce jour-là même la lutte qui faisait gémir l’Apôtre en ces termes « Je me complais dans la loi de Dieu, d’après les sentiments de l’homme intérieur : mais j’éprouve dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et qui m’asservit à la loi du péché qui est dans ma chair. Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera du corps de cette mort ? Ce sera la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur[3]. » Il ne lui suffit pas d’appeler le corps mortel; il dit : « Qui me délivrera du corps de cette mort ? » C’est ainsi qu’il ajoute plus loin : « Le corps est mort à cause du péché[4]. » Mort remarquez l’expression, et non mortel, quoiqu’il le soit réellement, puisqu’il doit mourir. Tel n’était pas l’état primitif du corps : animal sans être encore spirituel, il n’était pas mort ; je veux dire, condamné irrévocablement à la mort il ne fut soumis à cette loi qu’au moment où l’arbre défendu eut été touché.
17. Aujourd’hui le corps a une santé relative, et lorsqu’elle est si profondément troublée qu’une maladie dévore déjà les organes essentiels à la vie, les médecins déclarent que la mort est imminente. On dit alors que le corps est mourant, mais à un tout autre point de vue que lorsqu’il jouissait de la santé quipourtant.n'empêchaitpas de prévoir infailliblement sa mort. Il en était de même du premier homme : il avait un corps animal, que le péché seul pouvait faire mourir et destiné à revêtir les formes.célestesde la nature angélique. Mais aussitôt qu’il eut enfreint la loi, la mort même se glissa dans ses organes en y faisant sentir une langueur fatale et il perdit l’heureux empire qui l’empêchait « d’éprouver dans ses membres une loi opposée à la loi de son esprit » quoique animal, sans être encore spirituel, le corps n’était point sous l’influence de, cette mort, de laquelle et avec laquelle nous sommes nés. Dès notre naissance en effet, que dis-je ? dès notre conception même, nous contractons le germe de cette maladie qui doit fatalement nous conduire à la mort. Les autres maladies, comme l’hydropisie, la dysenterie, la lèpre, aboutissent moins infailliblement à la mort que la conception même, qui fait de tous les hommes des enfants de colère[5], par un châtiment infligé au péché.
18. S’il en est ainsi, pourquoi ne pas croire que nos premiers parents aient pu, dans l’acte de la génération, exercer sur leur corps avant le péché le même empire qui permet à l’âme de mouvoir les organes, dans certaines fonctions, sans douleur comme sans volupté ? Le Créateur, dont la puissance est au-dessus de toute louange, et qui fait éclater sa grandeur dans les êtres les plus petits, a donné aux abeilles la propriété de reproduire leur espèce comme elles produisent leurs rayons de cire ou leur miel : pourquoi donc n’aurait-il pas donné au premier homme un corps assez docile pour qu’il pût commander aux organes de la reproduction avec un esprit aussi souverain qu’à ses pieds, de telle sorte que la conception et l’enfantement auraient eu lieu sans

  1. Mt. 22, 30
  2. Gen. 2, 17
  3. Rom. 7, 22, 25
  4. Id. 8, 10
  5. Eph. 2, 3