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images sensibles, bien que l’Écriture ne dise pas si ce fut dans un songe ou dans un moment d’extase, comme il arrive d’ordinaire ? N’y aurait-il pas là une révélation analogue à celle que décrit le Prophète : « Et l’Ange qui parlait en moi me dit[1] ? » Enfin ces paroles auraient-elles retenti par l’organe d’une créature, comme celles qui retentirent dans la nue : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé[2]? » Quel fut le moyen que Dieu employa ? C’est ce qu’il est impossible de déterminer. Mais nous devons rester convaincus que Dieu a parlé et que, s’il a employé une succession de sons ou une suite d’images sensibles, loin de parler directement et par lui-même, il a employé quelque créature soumise à ses ordres nous l’avons démontré au livre précédent [3]. Dieu sans doute s’est montré plus tard aux saints, tantôt avec des cheveux blancs comme de la laine, tantôt avec des pieds semblables à l’airain fin[4], bref, sous différentes formes ; mais qu’il ait employé, pour apparaître aux hommes, des créatures soumises à ses ordres et non son essence, qu’il ait signifié ses volontés à l’aide d’images ou de sons, c’est une vérité incontestable pour les esprits qui croient ou qui même ont la force de comprendre que l’essence de la Trinité est éternelle, en dehors de tout changement, et que, sans tomber dans l’étendue de la durée elle meut tous les êtres dans l’espace et le temps. Sans chercher davantage par quel secret ces paroles se sont fait entendre, tâchons d’en découvrir le sens. Il a donc fallu donner à l’homme un aide de son espèce ; c’est ce que déclare la vérité créatrice elle-même ; et pour entendre sa parole, il suffit de comprendre la raison qui a présidé à la création de chaque être.

CHAPITRE III. LA FEMME DONNÉE A L’HOMME POUR ASSURER LA REPRODUCTION DE L’ESPÈCE HUMAINE.


5. Si donc on se demande dans quel but la femme fut donnée à l’homme pour compagne, la première et la plus solide raison qui se présente est la loi même de la génération : c’est ainsi que la terre coopère avec un germe pour produire une plante. Cette raison apparaît dans la création primitive, puisqu’il dit alors : « Dieu les créa mâle et femelle ; et il les bénit, et il leur dit : Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre et assujettissez-la[5]. » Le principe de l’union des deux sexes et la bénédiction répandue sur eux, n’ont pas cessé d’avoir leurs effets après la faute de l’homme et son châtiment : c’est toujours en vertu de cette loi que la terre est remplie d’hommes qui la soumettent à leur empire.
6. Il est dit que le premier couple humain ne s’unit qu’après son expulsion du Paradis ; cependant je ne vois pas à quel titre il n’y aurait pas eu dans l’Eden « un mariage saint, un lit nuptial exempt de souillure[6] » ni pourquoi Dieu n’aurait pas accordé à leur foi et à leur innocence, à leur sainte et pieuse soumission, le privilège de se reproduire sans éprouver les ardeurs inquiètes de la concupiscence ni le pénible travail de l’enfantement. Les fils n’auraient point été destinés à remplacer les pères morts ; pendant que ceux-ci auraient gardé intactes les formes de leur organisation et puisé la vigueur corporelle dans l’arbre de vie, leur postérité aurait acquis le même développement, jusqu’au moment où le genre humain se serait élevé au nombre fixé par Dieu. Alors aurait eu lieu, s’ils avaient tous vécu dans la sainteté et l’obéissance, leur transformation sans passer par la mort, et le corps animal se serait changé en un corps spirituel, parce qu’il aurait eu le don d’obéir au moindre signal à l’esprit qui le gouverne, et qu’il aurait été vivifié par l’âme sans avoir besoin pour se soutenir d’aliments matériels. Voilà ce qui aurait pu s’accomplir, si la violation du précepte divin n’avait entraîné la mort pour châtiment.
7. Déclarer impossible une pareille hypothèse, c’est se régler sur le cours ordinaire des lois de la nature, telles qu’elles existent depuis la faute et le châtiment de l’homme : mais nous ne devons pas être de ceux qui n’ajoutent foi qu’à l’expérience. Pourquoi en effet ne pas croire que Dieu eût accordé ce privilège à l’homme, s’il avait vécu dans l’obéissance et la piété, quand on ne doute pas que les vêtements des Israélites ont été préservés pendant quarante ans de toutes les atteintes du temps[7] ?

CHAPITRE IV. DE LA RAISON QUI AURAIT EMPÊCHÉ NOS PREMIERS PARENTS DE S’UNIR DANS L’EDEN.


8. Et pourquoi nos premiers parents n’ont-ils connu le mariage qu’après avoir été chassés de l’Eden ? On va répondre aussitôt que la femme ayant été créée après l’homme, le péché se fit

  1. Zach. 2, 3
  2. Mt. 3, 17
  3. Ci-dessus, liv. 8, ch. 27
  4. Apoc. 1, 14, 16
  5. Gen. 1, 27-28
  6. Heb. 12, 4
  7. Deut. 29, 6