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CHAPITRE XXIV. DES CRÉATURES SOUMISES AUX ANGES.


45. Par suite, les Esprits sublimes qui possèdent Dieu humblement et qui le servent au sein de la félicité, dominent sur la nature physique, sur les animaux sans raison, sur les volontés faibles ou corrompues : ils font régner dans le monde des corps, ils accomplissent chez les êtres libres et avec leur concours, les lois qui président à l’ordre universel, sous l’empire de l’Être de qui tout relève. Ils découvrent en lui l’immuable vérité et règlent leurs volontés sur ce principe à ce titre ils participent à l’éternité, à la vérité, à la volonté immuable, indépendante des lieux et des temps. Ils exécutent dans le temps ses ordres éternels. Je ne veux pas dire qu’ils cessent ou se lassent jamais de le contempler : ils le contemplent dans son immensité et son éternité ; mais, quand ils remplissent ses ordres auprès des êtres d’une dignité inférieure, ils agissent dans le temps, ils ébranlent la matière dans les limites de temps et d’espace qu’exige l’acte à accomplir. C’est un des aspects de la double activité que Dieu exerce souverainement sur la création : il donne l’existence aux êtres, il règle les volontés, afin qu’elles n’accomplissent rien sans son ordre ou sa permission.

CHAPITRE XXV. DES LOIS GÉNÉRALES ET PARTICULIÈRES SELON LESQUELLES DIEU GOUVERNE TOUT.


46. L’univers physique ne reçoit donc aucune impulsion matérielle en dehors de lui-même, car il n’y a pas de corps en dehors de lui, autrement ce ne serait pas l’univers ; au dedans, il obéit à une impulsion spirituelle, je veux dire à l’action par laquelle Dieu donne l’existence, selon celte parole : « C’est de lui, en lui et par lui que tout existe[1]. » Quant aux êtres particuliers qui composent l’univers, ils sont au dedans l’objet d’une action spirituelle, ou plutôt acquièrent par là l’existence et tout ensemble trouvent au-dehors les moyens matériels d’améliorer leur condition dans les aliments, l’agriculture, la médecine, bref dans les ressources qui assurent la conservation et la fécondité des espèces non moins que leur beauté.
47. Les créatures spirituelles, quand elles sont parfaites et bienheureuses, comme les Saints Anges, reçoivent un secours intérieur et tout spirituel pour posséder l’existence et la sagesse. Dieu se communique à eux par un langage mystérieux et ineffable : il n’emploie pas pour eux une Écriture fixée par des moyens matériels, des sons qui frappent l’oreille, des images pareilles aux fantômes que l’esprit se représente dans un songe ou même dans cet état où l’esprit semble sortir de lui-même et que les Grecs ont nommé extase, extasis: les idées de cette sorte se produisent sans doute plus intérieurement que celles qui nous arrivent par le canal des sens ; mais comme elles leur ressemblent si parfaitement qu’on ne peut les distinguer entre elles qu’à grand-peine et fort rarement, et que d’ailleurs elles sont plus matérielles que l’intention pure de l’immuable vérité, dont la lumière éclaire l’intelligence seule et lui sert à connaître toutes choses, on doit à mon avis ranger toutes ces visions parmi les perfections extérieures. Ainsi donc les créatures spirituelles et raisonnables, à ce degré de perfection et de béatitude qui est le privilège des Anges, reçoivent un secours tout intérieur, pour conserver leur être, leur sagesse, leur bonheur, et le trouvent dans la vérité et l’amour éternels du Créateur. Si elles reçoivent une impulsion du dehors, ce ne peut être que de la communauté d’intuition et d’allégresse en Dieu, du concert d’action de grâces de louanges que la vision de tous les êtres en Dieu provoque parmi elles. Quant aux actes qu’accomplissent les Anges pour veiller, selon les ordres de la Providence, sur les êtres de toute espèce et en particulier sur le genre humain, ils constituent un secours extérieur qui se communique au moyen de visions analogues aux formes que l’imagination se représente ou des corps mêmes qui sont soumis à la puissance des Anges.

CHAPITRE XXVI. DIEU GOUVERNE TOUT SANS CESSER D’ÊTRE IMMUABLE.


48. Dieu donc aune puissance souveraine et sans limites ; éternité, vérité, volonté, rien ne change en lui ; au-dessus de tous les mouvements qui s’accomplissent dans la durée et l’étendue, il fait mouvoir les esprits dans le temps, les corps dans le temps et l’espace tout ensemble : après avoir créé chaque être en soi-même, il le gouverne au moyen de forces extérieures, en d’autres termes, au moyen des volontés subalternes qu’il

  1. Rom. 11, 36