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hanches. Bref, aucun membre n’entre en mouvement sous l’impulsion de la volonté, sans trouver un pivot dans son point d’attache : c’est ce point que la volonté commence par fixer, et le mouvement part ainsi comme d’un centre immobile. Enfin, dans la marche, un pied ne se lève qu’autant que l’autre est fixé pour supporter le poids du corps, et le passage s’opère d’un point à un autre, tandis que le pied en mouvement trouve un support dans le pied en repos.
42. Or, si la volonté pour mouvoir un membre doit l’appuyer sur l’articulation immobile d’un autre membre, quoique l’organe mis en mouvement, comme l’organe fixe qui lui sert de pivot, accusent une étendue proportionnée à leur volume ; ne faut-il pas à plus forte raison que l’âme, qui commande aux membres et donne aux uns le signal de rester immobiles pour servir de point d’appui aux autres ; que la force immatérielle, qui loin de remplir la, masse du corps comme l’eau remplit une outre ou une éponge, répand son activité toute spirituelle, par une sorte de prodige, dans les organes qu’elle vivifie et dont elle se fait obéir par un signal qui tend leurs ressorts sans peser sur eux ; ne faut-il pas, dis – je, que l’âme ait une activité en dehors de l’espace pour y mouvoir le corps, puisqu’elle remue le tout à l’aide des parties, et qu’elle ne met les organes en jeu qu’à l’aide d’autres organes immobiles ?

CHAPITRE XXII. DIEU EST SÛREMENT ET ABSOLUMENT IMMUABLE.


43. Si cette vérité semble difficile à concevoir, il faudra s’attacher par la foi à ce double principe, que l’âme sans se mouvoir dans l’espace y meut le corps, et que Dieu sans se mouvoir dans le temps y meut l’âme. Peut-être ne voudra-t-on pas admettre pour l’âme humaine une vérité que l’on n’aurait aucune peine à croire et même à comprendre, si on était capable de la concevoir comme elle est essentiellement, je veux dire spirituelle : n’est-il pas évident, en effet, que pour se mouvoir dans l’espace, il faut s’étendre sur divers points de l’espace ? Or, tout ce qui occupe divers points de l’espace, est corps ; l’âme ne peut donc se mouvoir sur une certaine étendue, puisqu’elle est n’est point corporelle. Cependant, si quelques esprits ne veulent pas reconnaître à l’âme cette faculté, je ne veux pas les presser trop vivement : quant à Dieu, si on refuse d’admettre que son activité est en dehors du temps et de l’espace, on n’a pas encore une idée juste de son immutabilité.

CHAPITRE XXIII. QUE DIEU FAIT TOUT SANS SORTIR DE SON REPOS.


44. La Trinité étant essentiellement immuable et par la même éternelle sans qu’il puisse rien exister qui lui soit coéternel, demeure en elle-même en dehors de tous les lieux : c’est elle cependant qui communique dans la sphère de l’étendue et de la durée le mouvement à toutes les créatures qui lui restent soumises ; elle leur donne l’être par sa bonté ; par sa puissance elle met toutes les volontés à leur place. Ainsi tout être dépend de la Trinité ; toute volonté, quand elle pratique le bien, est dirigée par elle ; et quand elle fait le mal, tombe sous les lois de sa justice. Mais comme tous les êtres n’ont pas reçu le privilège du libre arbitre, principe de supériorité et de puissance, les êtres qui ne jouissent pas de la liberté sont nécessairement soumis à ceux qui sont libres, et cela, par le sage dessein du Créateur qui, en châtiant la volonté coupable ne lui enlève jamais sa dignité primitive. La matière, l’animal sans raison n’ayant pas le don de la liberté, sont soumis aux êtres qui l’ont reçu ; mais cette subordination loin d’être confuse est réglée par la justice souveraine. Ainsi la Providence divine gouverne et dirige la création entière, les êtres, afin qu’ils existent, les volontés, afin qu’elles ne soient pas vertueuses sans récompense, ni coupables sans punition. Dans la hiérarchie qu’il a établie, il a subordonné l’univers à ses lois, puis la matière à l’esprit, la brute à l’être raisonnable, la terre au ciel, la femme à l’homme, la faiblesse à la force, la misère à l’abondance. Quant aux volontés, il les a soumises à lui-même, quand elles sont bonnes, à leurs propres esclaves, quand elles sont mauvaises : par conséquent, la volonté coupable est condamnée à subir le joug contre lequel l’âme juste a lutté pour obéir à Dieu, je veux dire cette domination des corps qui sont naturellement inférieurs aux volontés même coupables. Ce châtiment est extérieur ; mais au dedans les volontés criminelles en subissent un autre, je veux dire le ravage de leurs iniquités mêmes.