Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée

avec le Saint-Esprit, en d’autres termes, Dieu, son Verbe et l’Esprit qui leur sert de lien : c’est la Trinité à la fois distincte et indivisible ; c’est le Dieu qui seul possède l’éternité et habite une lumière inaccessible, le Dieu qu’aucun homme n’a vu et ne peut voir[1], qui n’est renfermé dans aucun espace fini ou sans bornes, qui ne change jamais avec les révolutions limitées ou indéfinies du temps. Car, il est impossible à la substance divine d’être moindre dans la partie que dans le tout, comme doit l’être tout ce qui se meut dans l’espace autour d’un point fixe, la main, par exemple, dont les parties dépendent d’une articulation principale ; il est également impossible que cette substance ait souffert quelque diminution ou reçoive quelque modification nouvelle, comme les êtres soumis aux changements du temps.

CHAPITRE XX. LE CORPS SE MEUT DANS LE TEMPS ET L’ESPACE, L’ÂME NE SE MEUT QUE DANS LE TEMPS : DIEU EST EN DEHORS DE CETTE DOUBLE MODIFICATION.


39. C’est du sein de cette existence éternellement immuable que Dieu a créé simultanément les êtres destinés à marquer le cours du temps et à remplir l’espace ; et c’est grâce aux mouvements des êtres dans l’espace et le temps que leurs générations se succèdent. Dieu a fait les esprits et les, corps en imprimant aux substances créées par sa puissance absolue, sans le concours d’aucun être, les modifications dont elles étaient susceptibles, de façon toutefois que le fond précéda les formes non en date, mais en principe. Il a donné aux esprits la supériorité sur les corps, en ce sens que les esprits ne se modifient qu’avec le temps, tandis que la matière change selon le temps et les lieux. L’âme par exemple se meut avec le temps, quand elle se rappelle ce qui lui était échappé, quand elle apprend ce qu’elle ignorait ou qu’elle veut ce qu’elle ne voulait pas : les corps se meuvent dans l’espace, quand ils sont transportés des airs sur la terre, de la terre dans les airs, de l’Orient à l’Occident, oh subissent des mouvements analogues. Or ; tout ce qui se meut dans l’espace, se meut aussi dans le temps par une conséquence inévitable, mais il ne s’ensuit pas que tout ce qui se meut dans le temps se meuve aussi dans l’espace. Si donc la substance qui a le privilège de se mouvoir que dans le temps, l’emporte sur celle qui se meut à la fois dans le temps et dans l’espace, il faut nécessairement qu’elle soit inférieure à celle qui ne varie ni avec le temps ni avec l’espace. Par conséquent, de même que le mouvement du corps dans l’espace et le temps a pour principe l’esprit créé, qui ne se meut que dans le temps, de même l’esprit créé doit son mouvement dans le temps à l’Esprit créateur, dont l’activité est indépendante de l’étendue et de la durée. Ainsi, l’esprit créé se meut lui-même dans le temps, et meut le corps sous le double rapport du temps et de l’espace : tandis que l’Esprit créateur, agissant en dehors du temps et de l’espace, fait mouvoir l’esprit créé dans le temps en dehors de l’espace, et le corps, dans le temps et dans l’espace tout ensemble.

CHAPITRE XXI. COMMENT DIEU EST-IL À LA FOIS IMMUABLE ET PRINCIPE DU MOUVEMENT ?


40. Veut-on essayer de saisir par quel secret Dieu, l’être éternel, impérissable et immuable, quoique inaccessible à toute mobilité dans l’espace et le temps, meut sa créature dans l’étendue et la durée ? Pour atteindre à cette vérité, il faut, selon moi, comprendre d’abord comment l’âme, ou l’esprit créé, n’est muable que dans le temps et néanmoins communique au corps le mouvement dans le temps et l’espace. Si on est incapable de concevoir ce qui se passe en soi-même, pourrait-on découvrir ce qui s’accomplit dans un être plus parfait ?
41. L’âme, dans l’illusion où la jettent les opérations habituelles des sens, se figure qu’elle se meut dans l’espace avec le corps, tandis qu’elle n’y meut que le corps. Qu’elle examine attentivement ces jointures où les membres viennent s’emboîter et s’appuient comme sur des pivots pour y commencer leurs mouvements ; elle découvrira que, pour se mouvoir, les membres ont besoin de trouver dans d’autres membres un point, fixe. Le mouvement d’un doigt exige que la main lui serve de point d’appui ; celle-ci se rattache à l’avant-bras, qui s’articule avec le bras, fixé lui-même à l’épaule ; ce sont la comme autant de pivots immobiles sui – lesquels tournent les membres mis en mouvement. De même le pied est assujetti au talon, sur lequel il opère son mouvement ; la jambe s’articule avec le genou, et la marche tout entière vient aboutir aux

  1. 1 Tim. 6, 16