Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/255

Cette page n’a pas encore été corrigée

donc défense de toucher à un arbre qui n’était point nuisible en soi, afin que le bien consistât pour lui à observer ce précepte, le mal, à l’enfreindre.
29. Le mal attaché à la seule désobéissance ne pouvait être mieux mis en relief ni plus fortement accusé, qu’en faisant peser sur l’homme toutes les conséquences de l’iniquité, s’il touchait malgré la défense de Dieu, à un arbre auquel il aurait pu toucher innocemment sans cette défense. Je suppose qu’on interdise à quelqu’un' de toucher à une plante parce qu’elle est vénéneuse et donne la mort ; le mépris de cette recommandation entraînerait la mort, sans aucun doute ; mais si on y avait touché sans avoir été prévenu, il n’en aurait pas moins fallu mourir. Qu’il y eût défense ou non, le poison n’en serait pas moins fatal à la santé et à la vie. De même encore, si on interdisait de toucher à une chose, parce que cette prescription serait dans l’intérêt de celui qui la fait et non de celui qui la viole, et qu’on mit la main, par exemple, sur l’argent d’autrui après en avoir reçu la : défense du possesseur même ; la faute consisterait à porter préjudice à l’auteur du commandement. Mais il s’agit d’un objet qu’on aurait pu toucher sans se nuire, s’il n’avait pas été interdit, et, sans faire tort à qui que ce soit dans aucun temps. Pourquoi donc fut-il interdit, sinon pour montrer le bien attaché à la pure obéissance, le mal attaché à la simple désobéissance ?
30. Le criminel n’aspirait ici qu’à se soustraire à l’autorité de Dieu, puisqu’il aurait dû pour éviter la faute considérer uniquement l’ordre du souverain. À quoi se réduisait cette soumission, sinon à respecter attentivement la volonté de Dieu, à l’aimer, à la mettre au-dessus de la volonté humaine ? Le motif qui avait guidé le Seigneur ne regardait que lui ; le serviteur n’avait qu’à exécuter son ordre, quitte à en peser les motifs quand il le mériterait. Sans nous arrêter trop longtemps à examiner la raison de ce précepte, on voit bien que l’intérêt de l’homme est de servir Dieu, et que, par conséquent, ses ordres quels qu’ils soient sont un bienfait pour nous, car nous n’avons point à craindre de recevoir d’un tel maître un commandement inutile.

CHAPITRE XIV. DU MAL : L’HOMME EN A FAIT L’EXPÉRIENCE EN VIOLANT LE PRÉCEPTE DE DIEU.


31. La volonté ne peut manquer de retomber comme une ruine et comme un poids immense sur l’homme, si celui-ci l’élève et la met au-dessus de la volonté souveraine. C’est l’épreuve que fit Adam en violant le commandement divin : il apprit à ses dépens la différence qui existe entre le bien et le mal, entre les avantages de l’obéissance et les résultats funestes de la désobéissance, c’est-à-dire, de l’orgueil, de la révolte, de la folie à vouloir mal imiter Dieu, de la liberté coupable. L’arbre sur lequel devait se faire cette épreuve, tira son nom, comme nous l’avons remarqué [1], de cette épreuve même. Nous ne saurions en effet connaître le mal que par expérience, puisqu’il n’existerait pas si nous ne l’avions jamais fait : car le mal n’existe point par lui-même ; on nomme ainsi la privation du bien. Dieu est le bien immuable ; l’homme considéré dans les facultés qu’il a reçues de Dieu, est bon aussi, mais non d’une bonté absolue. Or, le bien contingent qui dépend du bien absolu, devient plus parfait en s’y attachant avec l’amour et la docilité d’un être intelligent et libre. La faculté même de s’attacher à l’Être souverainement bon prouve dans un être l’excellence de sa nature. Refuse-t-il ? Il renonce lui-même au bien ; de là le mal pour lui, de là le juste châtiment qui en est la conséquence. Le comble de l’injustice ne serait-il pas devoir le bien-être uni à la désertion même du bien ? Cette anomalie est impossible : mais il peut se faire qu’on soit insensible à la perte du souverain bien, parce qu’on possède le bien secondaire dont on s’est épris. La justice divine y met ordre : quiconque a perdu librement ce qu’il aurait dû aimer, doit perdre douloureusement l’objet préféré ; c’est faire éclater ainsi l’harmonie universelle de la création. En effet l’être qui regrette la perte d’un bien, est encore bon : s’il n’avait pas conservé quelque trace de bonté, le souvenir cruel du bien qu’il a perdu n’entrerait pas dans son châtiment.
32. L’homme qui aimerait le bien avant d’avoir fait l’épreuve du mal, en d’autres termes, qui se déterminerait à ne s’en détacher jamais, sans avoir même senti le regret de sa perte, serait au-dessus de la nature humaine. Ce privilège

  1. Ci-dessus, ch. VI