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même dans ce traité, j’ai défendu l’Écriture au point de vue littéral, autant que je l’ai pu, afin que ceux qui ont l’intelligence, trop émoussée ou trop endurcie pour se rendre à la raison et croire à ces vérités, n’aient du moins aucun moyen de leur donner l’apparence de fables. Mais que des esprits qui ont foi dans l’Écriture, refusent de croire qu’il a réellement et à la lettre existé un Paradis, c’est-à-dire un parc délicieux où les arbres offraient des fruits et des ombrages, un parc immense arrosé par une immense source, et cela quand ils voient tant de forêts considérables se former sans le concours de l’homme par l’action mystérieuse du Créateur, c’est pour moi un sujet d’étonnement : à quel titre croient-ils donc que l’homme a été créé, puisqu’ils n’ont jamais vu d’exemple d’une pareille formation ? S’il ne faut voir dans Adam lui-même qu’un type, quel a été le père de Caïn, d’Abel, de Seth ? Ces personnages ne seraient-ils eux-mêmes que des symboles, au lieu d’être fils d’un homme et hommes eux-mêmes ? Qu’ils examinent donc de près à quelle conséquence les conduirait un pareil système et qu’ils s’unissent à nous pour interpréter au pied de la lettre le récit des faits primitifs. Dès lors, qui n’accueillera avec sympathie les symboles qu’ils découvrent dans ces événements, et qui révèlent soit les dispositions murales des esprits, soit les choses à venir ? Assurément si on ne pouvait entendre littéralement les faits qu’expose l’Écriture sans compromettre la foi, que resterait-il à faire sinon de voir partout des allégories plutôt que de lancer contre la parole sainte des accusations impies ? Mais l’interprétation historique de ces faits, loin de compromettre les récits de l’Écriture, ne sert qu’à les corroborer ; il n’est personne, à mon sens, qui après avoir vu les événements de la Genèse expliqués littéralement selon cette règle de foi, poussera l’obstination et l’incrédulité, jusqu’à persévérer dans la fausse opinion que le Paradis terrestre ne peut être qu’une allégorie.

CHAPITRE II.

POURQUOI DES EXPLICATIONS ALLÉGORIQUES DANS. LE TRAITÉ DE LA GENÈSE CONTRE LES MANICHÉENS ?

5. Les Manichéens ne se bornent pas à mal interpréter les saintes Lettres : ils les rejettent et vont jusqu’au sacrilège. C’est contre eux que j’écrivis deux livres sur la Genèse dans les premiers temps de ma conversion, me proposant à la fois de réfuter leur système insensé, et de leur inspirer le désir de chercher dans les livres même qu’ils détestent la foi chrétienne et évangélique. Comme le sens littéral ne se présentait pas toujours à mon esprit, et même me semblait parfois impossible ou du moins très difficile, pour ne pas perdre trop de temps, je me mis à expliquer avec toute la netteté et toute la précision dont j’étais capable le sens allégorique des faits que je ne pouvais encore interpréter à la lettre : je craignais d’ailleurs de les rebuter par un long ouvrage ou une discussion obscure, et de leur faire tomber le livre des mains. Toutefois je me rappelle le but principal que je me proposai sans l’atteindre c’était de montrer que les évènements de la Genèse étaient historiques et non de pures allégories. Je désespérais si peu de les voir ainsi entendus que j’établis au second livre le principe suivant : « Si on se résout à prendre au sens rigoureusement littéral tous les récits de la Genèse, on trouvera un moyen infaillible d’éviter bien des blasphèmes sans sortir du domaine de la foi. Loin de voir avec dépit untel travail, il faut le regarder comme une preuve merveilleuse d’intelligence. Mais si nous ne pouvons entendre l’Écriture d’une manière à la fois pieuse et digne de Dieu qu’en prenant les faits pour des figures et des énigmes, appuyons-nous sur l’autorité des Apôtres qui ont donné le nœud de tant d’énigmes dans l’ancien Testament, et poursuivons notre but avec l’aide de Celui qui nous a exhortés à chercher, à demander et à frapper[1]. « Expliquons donc d’après la foi catholique les figures que renferment les évènements ou les prophéties, sans préjudice d’un traité plus exact et plus parfait, qu’il vienne de moi ou de tout autre à qui Dieu daignera accorder sa lumière[2]. » Voilà ce que je disais alors. Aujourd’hui que le Seigneur m’a inspiré la pensée de considérer avec plus d’attention ces évènements, et que j’ai l’espérance ou plutôt la conviction de pouvoir les interpréter comme des faits historiques et non plus comme de pures allégories, je vais expliquer le Paradis, terrestre ; en suivant la même méthode que dans les livres précédents.

  1. Mt. 7, 7
  2. Gen. cont. les Man. liv. 2, ch. 2