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que soient leurs ressemblances avec l’homme. Ce raisonnement étant faux, quand pourra-t-on prouver la vérité du système, puisqu’on n’avance aucune autre preuve pour lui donner au moins les couleurs de la vraisemblance ? J’inclinerais donc moi-même à croire, avec les disciples de ces philosophes, que leur doctrine primitive n’avait d’autre but que de se borner à la vie présente, de montrer qu’une vie déréglée et infâme établit entre l’homme et l’animal une ressemblance si profonde qu’elle semble changer l’homme en brute, et de trouver dans cette humiliation un moyen d’arracher les esprits au désordre et à la dégradation.

CHAPITRE XI. DES ILLUSIONS QUI FONT CROIRE A LA MÉTEMPSYCOSE. L’ERREUR DES MANICHÉENS PLUS IMPIE QUE CELLE DES PHILOSOPHES.


16. Quant à la réminiscence d’une vie passée dans le corps de tel ou tel animal, qu’ont eue, dit-on, certaines personnes, ou elles mentent, ou elles ont été dupes d’une illusion produite par les démons. Si dans un songe, par je ne sais quel souvenir chimérique, un homme se rappelle une existence qu’il n’a jamais menée, des actes qu’il n’a jamais faits, pourquoi s’étonnerait-on que par un juste et mystérieux arrêt de Dieu, les démons aient permission de produire de telles illusions dans les esprits même pendant la veille ?
17. Les Manichéens, qui se croient chrétiens ou veulent passer pour tels, poussent le système de la métempsycose à des conséquences plus absurdes et plus condamnables que les philosophes païens et les esprits faibles qui adoptent ce rêve : ces derniers distinguent au moins Dieu de l’âme humaine ; les Manichéens admettant l’identité absolue de la substance divine et de l’âme humaine, condamnent sans sourciller, cette substance à des transformations si indignes, qu’elle est confondue avec le moindre brin d’herbe, avec le dernier des vermisseaux ou qu’elle subit de pareilles métamorphoses. C’est un prodige d’extravagance. Qu’ils écartent les problèmes obscurs que soulève la création, et qui, discutés au gré de l’imagination et des sens, les font tomber dans les conséquences les plus fausses, les plus dangereuses, les plus exorbitantes, qu’ils s’attachent à ce principe naturellement gravé au fond de toute intelligence, en dépit de toutes les opinions et de tous les sophismes, que. Dieu est par essence en dehors de tout changement et de toute altération ; ils verront tout à coup s’écrouler avec son échafaudage si compliqué le système qu’ils ont bâti dans leur imagination sacrilège, et qui ne repose que sur une variation perpétuelle de l’essence divine.
18. Ainsi l’âme humaine n’a point une âme sans raison pour cause primordiale.

CHAPITRE XII. L’ÂME N’A POINT POUR PRINCIPE UN ÉLÉMENT MATÉRIEL.


Quel est donc le principe gui sous le souffle de Dieu, a formé l’âme ? Est-ce la terre combinée avec l’eau ? Assurément non : c’est plutôt la chair qui est résultée de ce mélange Qu’est-ce en effet que le limon, sinon un mélange de la terre avec l’eau ? Il faut également repousser l’idée que l’âme a pour élément primitif l’eau, tandis que la chair serait une transformation de la terre. Il serait par trop insensé de faire sortir l’âme humaine des mêmes éléments que la chair d’un poisson ou d’un oiseau
19. Viendrait-elle de l’air ? Le souffle a quelque analogie avec cet élément ; mais le souffle de l’homme et non le souffle de Dieu. Cette hypothèse serait vraisemblable, comme nous l’avons déjà dit, si le monde était un animal immense dont Dieu serait l’âme ; il aurait en effet produit l’âme en expulsant l’air répandu dans son corps, comme notre âme le chasse du sien. Mais Dieu étant infiniment au-dessus de tous les corps du monde comme de tous les esprits qu’il a créés, comment rattacher à l’air l’origine de l’âme ? Dira-t-on qu’en vertu de la toute-puissance qui le rend présent à l’ensemble de la création, il a pu produire avec l’air le souffle qui formerait l’âme humaine ? Mais, comme l’âme est immatérielle, et qu’il ne peut résulter qu’un corps de la combinaison des éléments dont l’air fait partie, cette supposition, n’est pas admissible, lors même qu’on assignerait pour origine à l’âme le feu céleste dans toute sa subtilité. Qu’un corps ait la propriété de se réduire en un autre, on l’a soutenu mille fois ; mais qu’un corps, soit au ciel, soit sur la terre, puisse se transformer en une âme et, devenir une substance immatérielle, personne ne l’a prétendu, que je sache, et la foi n’offre rien qui permette de l’induire.