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dans la chair après sa formation, et que l’âme eût résulté de cette insufflation, cet écoulement se serait produit sans activité, sans changement, sans altération dans la substance destinée à devenir l’âme.

CHAPITRE IX. QUE CETTE MATIÈRE NE PEUT-ÊTRE UNE AME DÉPOURVUE DE RAISON.


12. En effet cette substance ne serait point un corps susceptible de diminuer par exhalaison. Si on donne pour principe à l’âme raisonnable, humaine, une âme dépourvue de raison, la question est alors de savoir d’où vient cette âme sans raison : elle ne peut avoir d’autre cause que le Créateur de tous les êtres. Or, est-elle composée d’éléments matériels ? Pourquoi, dans ce cas, l’âme raisonnable n’en serait-elle pas aussi composée ? On ne niera pas, j’imagine, que Dieu pouvait faire d’un seul coup ce qu’on croit se former par degrés. Or, si la matière est le principe de l’âme privée de raison, et que celle-ci soit le principe de l’âme raisonnable, on aura beau ménager les transitions, il faudra toujours reconnaître que la matière est l’élément primitif de l’âme raisonnable. Mais je ne sache pas qu’on ait jamais osé soutenir cette opinion, à moins de regarder l’âme comme une variété de la matière.
13. Prenons garde d’ailleurs que la possibilité pour une âme de.passerd'un animal dans un homme, erreur contraire à la vérité et à l’enseignement catholique, est une conséquence du système qui ferait de l’âme sans raison l’élément et comme la matière de l’âme raisonnable. Dans ce système, en effet, l’âme devenue plus parfaite habitera le corps d’un homme ; dégradée, elle passera dans le corps d’une brute. C’est une rêverie de certains philosophes, et leurs disciples en ont tellement rougi pour eux, qu’ils prétendent que leurs maîtres n’ont jamais eu cette opinion et qu’on les a mal compris Ils suivent à peu près la même méthode qu’un homme qui voudrait nous faire voir la métempsycose dans ces paroles de l’Écriture : « L’homme n’a pas compris le haut rang où il a été placé : il a été comparé aux brutes et leur est devenu tout semblable[1] » ou encore : « Ne donnez pas aux bêtes, une âme qui vous bénit[2]. » Les hérétiques, en effet, lisent les livres canoniques, leur hérésie ne consiste qu’à mal les comprendre et à vouloir soutenir contrairement aux dogmes leurs fausses opinions. Quoi qu’il en soit des systèmes philosophiques sur la transmigration des âmes, la foi catholique défend de croire que l’âme d’une bête passe dans le corps d’un homme ou celle d’un homme dans le corps d’une bête.

CHAPITRE X. L’ANALOGIE DES MŒURS ENTRE L’HOMME ET L’ANIMAL N’EST PAS UNE PREUVE EN FAVEUR DE LA MÉTEMPSYCOSE.


14. Que l’homme dans sa conduite se ravale parfois jusqu’au rang des animaux, la vie humaine le proclame, l’Écriture l’atteste. De là ces paroles que nous venons de citer : « L’homme n’a pas compris le haut rang où il a été placé ; il a été comparé aux brutes et leur est devenu semblable. » Mais cette analogie n’existe que pendant la vie et s’arrête à la mort. C’est à cette espèce de bêtes que le Psalmiste craignait que son âme ne fut abandonnée quand il disait : « Ne livrez pas aux bêtes une âme qui vous bénit. » Il entendait par là soit les loups dévorants sous l’apparence de brebis, contre lesquels le Seigneur nous met en garde[3], soit le diable et ses anges, qu’il appelle lui-même ailleurs le lion et le dragon[4].
15. Quelles preuves, en effet, les partisans de la métempsycose avancent-ils pour montrer qu’après la mort les âmes humaines peuvent passer dans le corps des bêtes et réciproquement ? Selon eux cette transmigration est un effet naturel de l’analogie des mœurs : l’avarice transforme en fourmi, la rapacité en épervier, l’orgueil farouche en lion, les voluptés dégradantes en porc. Mais en nous citant ces analogies, ils ne prennent pas garde que leur raisonnement prouve l’impossibilité absolue pour une âme humaine de passer dans le corps d’un animal après la mort. En effet, un porc ne ressemblera jamais à un homme au même degré qu’à un autre porc ; un lion même apprivoisé a plus de ressemblance avec un chien, ou un mouton qu’avec un homme. Puis donc que les animaux ne dépouillent jamais leur caractère et que, même dans les traits qui établissent entre eux quelques différences, ils se rapprochent infiniment plus de leur espèce que de la nature humaine et restent bien plus loin de l’homme que des autres animaux, leurs âmes n’habiteront jamais un corps humain, quelles

  1. Ps. 48, 13
  2. Id. 73, 19
  3. Mt. 7, 16
  4. Ps. 90, 13