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avant que Dieu ne l’eût formé du limon ou de la poussière de la terre. En effet poussière ou limon n’avait pas les propriétés de la chair humaine ; et cependant c’était la matière dont devait se former la chair qui n’avait encore aucune existence propre.

CHAPITRE VI. Y A-T-IL EU POUR L’ÂME UNE SUBSTANCE PRÉEXISTANTE, DE MÊME QUE POUR LE CORPS ?


9. Est-il donc croyable que Dieu, après avoir créé dans la période des six jours non seulement la cause primordiale du corps humain, mais encore la matière dont il devait être pétri, je veux dire la terre, se soit borné à établir le principe qui devait présider à la fonction de l’âme, sans créer la substance spéciale destinée à la constituer ? Si l’âme était incapable de changer, nous n’aurions aucun sujet de nous demander, pour ainsi dire, quel est son fond ; mais les modifications qu’elle subit révèlent assez qu’une fois douée des facultés qui la constituent elle se dégrade par le vice et l’erreur, se perfectionne dans la vertu et la connaissance de la vérité ; de la même manière que la chair, une fois formée avec les propriétés qui la caractérisent, s’embellit dans la santé et se défigure dans les maladies et les souffrances. Mais si la chair, en dehors de toutes les qualités qui la rendent susceptible d’acquérir la grâce ou de s’altérer et de s’enlaidir, a eu dans la terre un élément primitif dont elle devait sortir sous sa forme naturelle ; il est bien possible que l’âme, avant de former cette substance animée que le vice corrompt et que la vertu embellit, a eu pour principe une force spirituelle qui n’était pas encore l’âme elle-même, au même titre que l’argile dont la chair devait se former était une substance, avant de devenir la chair proprement dite.
10. Déjà en effet la terre remplissait la région inférieure de l’univers, et le corps de l’homme qui devait en sortir n’était pas encore formé déjà elle complétait le monde, et lors même qu’elle n’aurait servi à former la chair d’aucun être vivant, elle aurait achevé l’édifice immense de l’univers, nommé le ciel et la terre.

CHAPITRE VII. QU’IL EST IMPOSSIBLE DE DÉTERMINER LES QUALITÉS DE CETTE FORCE PRIMITIVE.


Quant à cette matière spirituelle, principe, si elle a jamais existé, d’où l’âme est sortie et d’où sortent aujourd’hui les âmes, comment la déterminer.? Quel est son nom, ses qualités, sa fonction dans la création primitive ? Est-elle ou n’est-elle pas animée ? Si elle est animée quels sont ses actes ? En quoi concourt-elle aux effets produits dans l’univers ? A-t-elle une existence heureuse ou malheureuse ou indifférente ? Communique-t-elle la vie ? Est-elle inactive, et repose-t-elle dans les profondeurs de la création sans conscience d’elle-même et sans mouvement ? Comment, si la vie n’avait pas encore commencé, pouvait-il exister une matière spirituelle et inanimée qui serait le principe de l’existence à venir des âmes ? Ce sont là autant de mystères impénétrables ou de chimères. D’ailleurs si elle était étrangère au bonheur comme au malheur, pouvait-elle être raisonnable ? Si elle n’est devenue raisonnable qu’au moment où elle a formé l’âme humaine, l’âme raisonnable ou humaine aurait donc eu pour principe la vie sans la raison ? Et : alors comment distinguer cette vie de celle des animaux ? Serait-ce qu’elle était raisonnable en puissance et non en acte ? L’âme chez un enfant est l’âme humaine, et nous n’hésitons point à l’appeler raisonnable avant qu’elle fasse usage de la raison : pourquoi donc né pas admettre que la substance dont l’âme se forma était douée d’une intelligence encore inactive, au même titre que le raisonnement est encore endormi dans l’âme d’un enfant, quoiqu’elle soit déjà l’âme humaine ?

CHAPITRE VIII. QUE CETTE MATIÈRE DE L’ÂME ÉTAIT INCAPABLE DE BONHEUR.


11. Si l’âme humaine a eu son principe dans une existence déjà heureuse, il faut admettre que sa formation fut une déchéance ; et au lieu d’avoir été formée de cette matière, elle en serait une dégénérescence. Car, toute matière, à son origine, surtout quand elle la tient de Dieu, est incontestablement plus parfaite. Fût-il possible de concevoir l’âme humaine comme le simple écoulement d’une vie heureuse créée par Dieu, il n’en faudrait pas moins reconnaître qu’elle ne commença à mériter ou à démériter qu’au moment où elle eut une existence personnelle, où elle anima le corps, fit de ses organes les messagers de sa volonté, et eut conscience de sa vie par l’exercice de la liberté, de la pensée, de la mémoire. Car, s’il y avait une existence antérieure et heureuse que le souffle divin aurait fait découler