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le principe qui devait ouvrir la marche des siècles. Les créatures se précèdent, tantôt en date, tantôt comme causes : Dieu ne dépasse pas seulement ses créatures par la puissance souveraine qui en fait le Créateur des causes mêmes, il les précède de toute son éternité. Mais ces réflexions seront peut-être mieux appelées par d’autres passages de l’Écriture.

CHAPITRE IX. COMMENT DIEU CONNUT-IL JÉRÉMIE AVANT QU’IL FÛT FORMÉ DANS LE SEIN DE SA MÈRE ? MÉRITE OU DÉMÉRITE DES HOMMES AVANT LEUR NAISSANCE.


14. Achevons nos considérations sur l’homme, en gardant une juste mesure et en portant, dans l’examen des passages les plus profonds de l’Écriture, un esprit de sage recherche plutôt qu’une présomption tranchante. Que Dieu ait connu Jérémie avant de le former dans le sein de sa mère, on ne saurait en douter sans impiété, puisque l’Écriture l’affirme en termes exprès. Mais où l’a-t-il connu avant de le former dans le sein maternel ? C’est une vérité qu’il est difficile et peut-être impossible à notre faiblesse d’atteindre. Est-ce dans des causes prochaines, comme il connut dans la personne d’Abraham que Lévi avait payé la dîme ? Est-ce dans Adam, le principe et comme la tige de tous les hommes ? En adoptant cette dernière opinion, serait-ce dans Adam lorsqu’il fut formé du limon de la terre, ou lorsqu’il n’existait qu’en puissance parmi les causes qui furent créées toutes ensemble ? Ne serait-ce pas antérieurement à tous les êtres, de la même manière qu’il a choisi et prédestiné ses saints avant la création du monde[1] ? Ne serait-ce pas plutôt dans la série des causes antérieures que je viens d’énumérer ou que j’ai pu oublier ? On ne doit pas, ce me semble, approfondir trop rigoureusement cette question, pourvu qu’on admette ce point incontestable que Jérémie, du moment qu’il reçut le jour, eut une existence personnelle, se développa avec l’âge et devint capable de faire le bien comme d’éviter le mal, et qu’il n’avait pas cette faculté, non seulement avant d’être formé dans le sein de sa mère, mais encore à l’époque où il était déjà formé sans avoir vu la lumière. La décision de l’Apôtre sur les jumeaux que Rebecca portait dans son sein ne souffre aucun doute : avant de naître, « ils n’avaient fait ni bien ni mal[2]. »
15. Cependant il n’a pas été écrit en vain que l’enfant, n’eût-il vécu qu’un jour sur la terre, n’est pas pur de tout péché [3] : le Psalmiste a dit avec vérité « qu’il a été conçu dans l’iniquité et que sa mère l’a nourri dans ses entrailles au milieu des péchés[4] » il est également écrit que « tous les hommes ont péché et meurent en Adam[5]. » Attachons-nous donc à cette vérité incontestable que, malgré les, mérites qui passent des pères à leurs descendants, malgré la grâce qui peut sanctifier un homme avant sa naissance il n’y a point d’injustice de la part de Dieu et qu’aucun acte en bien ou en mal ne peut être personnel avant la naissance par conséquent, que le système particulier d’après lequel les âmes ont plus ou moins commis de fautes dans une vie antérieure, et, selon l’étendue de leurs péchés, ont été unies à différents corps, est en contradiction avec la parole si formelle de l’Apôtre, que les fils de Rebecca ne firent, avant leur naissance, aucun acte bon ou mauvais.
16. Ici se pose la question, que nous aurons à reprendre plus tard, de savoir comment le genre humain, en se répandant sur la terre, a contracté le péché de nos premiers parents qui existent d’abord seuls : quant à eux, ils n’ont pu subir les suites d’aucune transgression, avant d’être formés du limon de la terre et de recevoir la vie au moment marqué ; c’est un point qui ne doit pas même être discuté. De même en effet que nous n’aurions aucun motif de dire qu’Esaü et Jacob, incapables, suivant l’Apôtre, d’avoir agi en bien ou en mal avant leur naissance [6], avaient hérité des vertus ou des fautes de leurs parents, si leurs parents n’avaient eux-mêmes fait ni bien ni mal, ou que le genre humain avait péché en Adam, si Adam lui-même n’eût péché, ce qui aurait été impossible, s’il n’avait reçu avec la vie la liberté de faire le bien et le mal ; de même nous chercherions en vain comment Adam pouvait être criminel ou innocent, lorsqu’il était créé en principe dans l’ensemble des causes personnelles et n’était point renfermé dans des parents qui eussent vécu d’une vie, propre. En effet, dans la création primitive et simultanée, l’homme fut formé comme un être possible, c’est-à-dire, dans le principe dont il devait sortir, et non avec l’existence effective qu’il mena plus tard.

  1. Eph. 1, 4
  2. Rom. 9, 11
  3. Job. 14, suiv. LXX
  4. Ps. 50, 7
  5. Rom. 5, 12
  6. Id. 9, 11