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dans le ciel, sont trop éloignés pour ne pas échapper à nos regards ; d’autres se trouvent dans des contrées peut-être inhabitables ; enfin il y en a de cachés dans les abîmes de la mer ou dans les entrailles de la terre. Tous ces êtres n’avaient aucune existence avant d’êtres créés. Comment Dieu a-t-il connu ce qui n’était pas, ou réciproquement, comment a-t-il créé ce qu’il ne connaissait pas ? Or, il n’agit pas avec ignorance. Il a donc fait ce qu’il connaissait, et a connu les choses avant qu’elles fussent faites. Avant la création, les choses étaient et tout ensemble n’étaient pas ; elles étaient dans l’intelligence divine, elles n’étaient pas dans leur nature. Il créa alors ce, jour intelligent qui devait les connaître en Dieu et en elles-mêmes : en Dieu et ce fut comme le matin et le jour, en elles-mêmes et ce fat comme le soir. Quant à Dieu, je craindrais de dire qu’il vit autrement les choses, après leur création, que dans les idées qu’il devait réaliser, puisqu’il n’y à en lui ni changement ni ombre de vicissitudes[1].

CHAPITRE XIX. LES ANGES ONT CONNU DÈS L’ORIGINE DES SIÈCLES. LE MYSTÈRE DU ROYAUME DES CIEUX.


37. Dieu n’a pas besoin de messagers pour être instruit et en quelque sorte informé de ce qui se passe dans les parties les plus éloignées de la création : il connaît tout d’une manière simple et absolue par son intelligence infinie. S’il a des messagers ; c’est dans leur intérêt et dans le nôtre obéir à Dieu, se tenir en sa présence, afin de lui demander ses desseins et ses ordres sur le monde, et d’exécuter ses commandements, c’est un bonheur auquel tend leur nature et pour lequel ils sont faits. Le mot Ange, emprunté au Grec, sert à désigner toute la cité céleste, dont la création est à nos yeux celle du premier jour.
38. Ils n’ont pas ignoré le mystère du royaume des cieux, qui nous a été révélé au temps marqué pour notre salut, et ils savent que délivrés un jour de cet exil, nous serons réunis à leurs chœurs. Il est impossible, en effet, qu’ils aient ignoré ce secret. Car, l’avènement de Celui qui devait naître au temps marqué a été préparé par leur entremise, et avec la puissance du Médiateur, en d’autres termes [2], du Dieu qui est leur Seigneur et dans sa nature divine et dans sa nature humaine. L’Apôtre nous dit ailleurs :« A moi qui suis le dernier.detous les saints, a été donnée la grâce de publier parmi les Gentils les richesses incompréhensibles de Jésus-Christ, et d’éclairer tous les hommes sur la dispensation du mystère caché dès l’origine des siècles, dans le sein de Dieu ; créateur de toutes choses, afin que les principautés et les puissances célestes connussent par l’Église la sagesse si diversifiée de Dieu, selon le décret éternel qu’il a exécuté en Jésus-Christ Notre-Seigneur[3]. » Ainsi ce mystère avait été caché depuis l’origine des siècles, dans le sein de Dieu, de façon toutefois que l’Église devait révéler aux Principautés et aux Puissances la sagesse de Dieu sous ses formes si diverses. Au ciel est l’Église primitive à laquelle doit se réunir la nôtre après la résurrection, afin de nous rendre semblables aux anges[4]. Ce mystère leur fat donc révélé dès l’origine des siècles : car tout.êtrecréé n’existe que depuis l’origine des siècles et ne leur est pas antérieur. Les siècles commencent avec la créature et la créature avec les siècles, puisque l’origine de l’une est celle des autres. Le seul être engendré avant les siècles est le Fils unique par lequel ont été créé les siècles[5]. Aussi la Sagesse dit-elle dans l’Écriture : « Il m’a établie avant tous les siècles[6]; » et c’était afin de former tout par elle, suivant la parole : « Vous avez tout fait dans la Sagesse[7]. »
39. Or les Anges découvrent ce mystère caché, non seulement dans le sein de Dieu, mais encore au moment qu’il s’accomplit et se répand : le même Apôtre le témoigne en ces termes : « Et il est manifestement grand ce mystère de piété, qui s’est manifesté dans la chair, qui a été justifié par l’Esprit-Saint, dévoilé aux anges, prêché aux nations, cru dans le monde et élevé dans la gloire[8]. »Ou je me trompe fort, ou l’unique raison qui fait dire.queDieu connaît dans tel ou tel temps, est qu’il révèle les choses soit aux anges soit aux hommes. Cette figure de langage, qui consiste à prendre la cause pour l’effet, est très-fréquente dans l’Écriture ; surtout quand on dit de Dieu des choses qui ne sauraient lui convenir au sens propre, d’après le cri de la vérité même qui dirige notre âme.

  1. Jacq. 1, 17
  2. Rét.liv. 2.ch. 24, n. 3 ; Gal. 3, 19
  3. Eph. 3, 3, 11
  4. Mt. 22, 30
  5. Heb. 1, 9
  6. Prov. 8 23. suiv. les LXX
  7. Ps. 103, 24
  8. 1 Tim. 3, 16