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des êtres de diverses espèces qui se développaient dans la période du temps exigée par leur nature, fût pourvu de sources et de fleuves.àson tour ; et le Paradis, ce parc choisi de Dieu, aurait-il eu le privilège de faire sortir de sa source quatre fleuves ? Est-il plus probable que l’unique source du Paradis avait d’abord un jet considérable et que Dieu s’en servit pour arroser toute la terre, afin de la féconder et de lui faire produire, dans une période de temps régulier, les espèces de plantes qu’il avait créées toutes ensemble ; qu’ensuite il arrêta en ce lieu ce jet d’eau énorme, afin que les fleuves et les ruisseaux sortissent de différentes sources dans les différentes contrées ; et qu’enfin dans le pays même d’où elle jaillissait, au moment qu’elle n’arrosait plus la surface du globe, mais donnait seulement naissance à quatre fleuves, il planta le Paradis pour y placer l’homme ?

CHAPITRE VIII. POURQUOI SUPPLÉER PAR DES CONJECTURES AU SILENCE DES LIVRES SAINTS ?


23. L’Écriture n’a pas exposé dans tous les détails les origines du temps au début de la création primitive, ni la suite des lois d’après lesquelles se développent les êtres qui furent créés d’abord, puis achevés le sixième jour : elle a raconté ces faits dans la mesure qu’il a plu au Saint-Esprit, lequel faisait écrire les évènements capables tout ensemble de révéler le passé et de figurer l’avenir. Conjecturons donc dans notre ignorance les faits que l’Esprit-Saint a négligés sciemment ; et travaillons dans la mesure de nos forces et de la grâce que Dieu nous fait, à écarter la pensée qu’il y ait dans les saints Livres des absurdités et des contradictions qui, choquant le jugement du lecteur et lui faisant croire que les faits racontés par l’Écriture sont impossibles, le feraient renoncer à la foi où l’empêcheraient de l’embrasser.

CHAPITRE IX. IL EST DIFFICILE DE CONCEVOIR UNE SOURCE CAPABLE D’ARROSER LA TERRE ENTIÈRE.


24. Quand nous cherchons à comprendre dans quel sens l’Écriture a dit qu’ « une source jaillissait de la terre et en arrosait toute la surface » il ne faut pas y voir pour cela un phénomène impossible : si notre explication renferme une impossibilité, qu’on en cherche soi-même une autre pour démontrer la véracité de l’Écriture, véracité incontestable, quand même elle ne serait pas démontrée. Si en effet on raisonne dans le but de la convaincre d’erreur, on ne dira soi-même rien de vrai sur la création et le gouvernement du monde, ou, si l’on rencontre la vérité, on taxera l’Écriture d’erreur sans la comprendre. Je suppose, par exemple, qu’on prétende ici qu’il était impossible qu’une source unique, si énorme qu’on voudra, suffit à arroser la terre entière, par la raison que, si elle n’arrosait pas les montagnes, elle n’arrosait pas toute la terre, et que si elle arrosait les montagnes, loin de porter avec elle la fécondité, elle exerçait les ravages d’un déluge par conséquent que la terre en cet état était une mer et n’était point encore distincte des eaux.

CHAPITRE X. COMMENT PEUT-ON EXPLIQUER CE PHÉNOMÈNE ?


25. On peut répondre que cette inondation pouvait être périodique, comme celle du Nil qui tour-à-tour couvre les plaines de l’Egypte et rentre dans son lit. Peut-être objectera-t-on quel la crue annuelle de ce fleuve tient aux pluies et aux neiges de je ne sais quelle contrée lointaine et inconnue, soit : mais que dire du flux et du reflux dans l’Océan, de la marée qui tour-à-tour découvre ou envahit certaines plages sur une longue étendue ? Je ne parle pas de ces sources intermittentes qui, par un singulier phénomène, tantôt coulent avec une telle abondance, dit-on, qu’elles arrosent tout – un pays, tantôt laissent à sec les puits les plus profonds et fournissent à peine assez d’eau pour boire. Pourquoi donc trouverait-on étrange qu’un gouffre, soumis au flux et au reflux, ait arrosé la terre par une inondation périodique ? D’ailleurs si l’Écriture, laissant de côté la mer dont les flots salés enveloppent évidemment le globe de leur immense ceinture, n’a voulu parler que des lacs intérieurs d’où sortent par des canaux souterrains ou des infiltrations les ruisseaux et les sources, pour s’échapper les uns sur un point, les autres sur un autre, et qu’elle ait compris dans ce gouffre immense, sous le nom d’une source unique, toutes les sources du globe, à cause de l’identité de leur nature ; si, dis-je, on suppose que cette source jaillissait de la terre par les mille ouvertures des antres ou par les crevasses du sol, et que, se divisant en filets innombrables, elle se répandait sur la terre sans former une nappe d’eau comme la mer ou les