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plus parfaitement que nous les ouvrages de Dieu : outre qu’ils les voient dans le Verbe de Dieu, Fauteur de toute chose, ils en connaissent la nature par une intuition plus profonde et toute différente. En effet, ils les connaissent dans leurs éléments, et pour ainsi dire, dans leur origine, tels que Dieu les a faites primitivement, avant de se reposer de ses œuvres en cessant désormais de créer : nous au contraire, nous les connaissons en observant les lois qui les régissent, dans l’ordre du temps, après leur formation, et selon lesquelles Dieu continue d’agir au sein des êtres qu’il créa, durant ce nombre parfait de six jours, avec toute leur perfection.
11. L’ordre divin consista donc alors à créer la cause d’où sortent les plantes et les arbres, en d’autres termes, à communiquer à la terre son principe de fécondité. Dans ce principe, j’allais dire dans ces racines, toute la végétation à venir était déposée et livrée à l’action du temps. Plus tard en effet Dieu planta un jardin du côté de l’Orient, et fit sortir de la terre toute sorte d’arbres qui flattaient l’œil ou offraient des fruits exquis[1]. On ne saurait prétendre qu’il fit alors un nouvel ouvrage, qu’il donna un nouveau degré de perfection aux œuvres qu’il avait achevées et jugées excellentes le sixième jour : mais, comme toutes les espèces de plantes et d’arbres avaient été déjà créées dans leur principe, puisque Dieu se reposa de cette œuvre, tout en continuant de diriger et de maintenir en harmonie, au milieu des révolutions du temps, la création qu’il avait achevée et dont il s’était reposé, il faut admettre que Dieu planta alors non seulement ce jardin, mais encore toute la végétation qui naît même aujourd’hui. Quel autre en effet peut la créer ; sinon Dieu, dont l’activité s’exerce même en ce moment ? Toutefois il la crée aujourd’hui avec les éléments qui existent, tandis qu’elle passa du néant à l’existence, quand se fit le jour qui lui-même n’était absolument rien, je veux dire la création purement intellectuelle.

CHAPITRE V. L’ORDRE DES CRÉATIONS DIVINES PENDANT LES SIX JOURS N’EST PAS CHRONOLOGIQUE : C’EST UN ENCHAÎNEMENT DE CAUSES ET D’EFFETS.


12. Les êtres ayant été créés, leurs mouvements commencèrent à marquer le cours du temps. Aussi chercher le temps avant les créatures, ce serait chercher le temps avant le temps même : cars il n’y avait aucun être, esprit ou corps, qui fût animé d’un mouvement dont la durée actuelle serait une transition entre le passé et l’avenir, le – temps n’existerait pas. Or, la première condition du mouvement et de la créature est apparemment l’existence de cette créature même. Le temps a donc commencé avec elle plutôt qu’elle avec le temps : mais tous deux ont Dieu pour auteur. Tout en effet vient de lui, tout est par lui et en lui[2]. Quand je dis que le temps a commencé avec la créature, je n’entends point que le temps ne soit pas lui-même une création, puisqu’il est le mouvement même qui marque le passage d’un état à un autre chez les créatures, d’après cette suite d’effets qu’amènent les lois établies par Dieu, qui gouverne tout comme il a tout créé. Par conséquent, quand nous remontons par la pensée à la condition première des ouvrages dont Dieu s’est reposé le septième jour, il ne faut songer ni à la durée que mesure le mouvement diurne du soleil, ni même à la manière dont Dieu produit aujourd’hui les êtres ; il faut voir comment Dieu a fait les créatures qui ont déterminé la marche du temps, comment il a tout produit à la fois et établi du même coup l’ordre universel, non d’après certaines périodes de temps, mais par la subordination des effets à leurs causes, de telle sorte que la création à été simultanée et tout ensemble conduite à sa perfection, selon le type du nombre six qui sert à caractériser ce jour.
13 Ce n’est donc point dans une série d’époques, mais dans un ordre logique que fut créée d’abord cette matière informe, mais susceptible de se former, la substance des corps et celle des esprits, destinée à servir comme de fond à toutes les œuvres divines ; elle ne put être modifiée avant d’être, et elle ne fut modifiée que par le Dieu souverain et véritable, principe des choses. Cette matière première, faite par Dieu avant la création du jour, a pu être appelée ciel et terre, parce que le ciel et la terre en.furentcomposés ; ou elle a. été représentée par « la terre invisible, sans ordre, et par l’abîme ténébreux » comme nous l’avons développé dans le premier livre.
14. Parmi les êtres qui furent tirés de cette substance nue et qui méritent encore mieux le nom de créations, ou d’œuvres, se fit d’abord le jour. La prééminence appartenait, en effet, aux êtres capables de connaître la créature dans le Créateur, au lieu de remonter de la créature à

  1. Gen. 2, 8, 9
  2. Rom. 11, 36