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notre ignorance que de forcer le sens de l’Écriture dans un passage très-clair, et d’aller chercher dans le septième jour autre chose que la reproduction du premier. Hors delà, en effet, il faut admettre ou que Dieu n’a pas créé le septième jour, ou qu’il a créé quelque chose après les six jours, ce qui ne peut être que le septième jour lui-même : cette hypothèse contredit évidemment l’Écriture, puisqu’elle dit que Dieu acheva toutes ses œuvres le sixième jour et qu’il se reposa le septième de toutes ses œuvres. Or, l’Écriture ne pouvant se tromper, il faut reconnaître que l’apparition de la lumière, dont Dieu fit le jour, s’est renouvelée, pendant toute la durée de la création, autant de fois que le jour est expressément désigné, par conséquent le septième jour, où Dieu se reposa de toutes ses œuvres.

CHAPITRE XXII. EXPLICATION DE LÀ SUCCESSION DU JOUR ET DE LA NUIT DANS L’HYPOTHÈSE OU LA LUMIÈRE SERAIT LA CRÉATION SPIRITUELLE.


39. Toutefois, dans l’impuissance où nous sommes d’expliquer la succession du jour et de la nuit par un tour qu’aurait décrit la lumière physique, antérieurement à la formation du ciel et des astres, nous ne pouvons renoncer à cette question sans indiquer au moins notre pensée. Supposons donc que la lumière primitive n’est pas un agent physique mais, la création intelligente : elle se forme en se séparant des ténèbres, en d’autres termes, elle sort de son imperfection naturelle pour se rattacher à son Créateur, principe de la perfection. Au soir succède donc le matin, je veux dire l’instant où, après avoir reconnu sa propre nature et s’être distinguée de Dieu, elle remonte, pour la bénir, jusqu’à l’éternelle lumière dont la contemplation l’épure et la forme. Comme la création des êtres d’un ordre inférieur ne s’accomplit pas sans qu’elle ne la connaisse, l’apparition d’un jour tout semblable se produit autant de fois qu’il y a d’ordres distincts dans la création, laquelle se développe, sur le type parfait du nombre 6 : par conséquent le soir du premier jour est le moment où elle prend conscience d’elle-même et reconnaît qu’elle n’est pas Dieu ; le matin qui clôt le premier jour et tout ensemble ouvre le second, marque d’abord le mouvement qui la porte à rattacher son existence à Dieu et à lui en faire hommage, puis la connaissance qu’elle acquiert, au sein du Verbe, de la création qui va suivre la sienne, je veux dire celle du firmament. Cette révélation lui est faite au moment où s’accomplissent ces paroles : « Il en fut ainsi. » Ensuite elle voit le firmament en lui-même, lorsqu’il est créé selon cette seconde formule : « Et Dieu fit le firmament. » Le soir se produit dans la lumière, lorsqu’elle a vu le firmament dans la réalité et non plus dans l’intelligence divine : cette connaissance étant moins sublime que la première est exactement représentée par le soir. Survient alors le matin qui termine le second jour et commence le troisième : c’est l’instant où la lumière remonte à Dieu pour le bénir d’avoir fait le firmament et pour apprendre du Verbe la création qui va suivre. Quand Dieu dit : « Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent et que la terre aride paraisse » elle connaît cette œuvre dans le sein du Verbe, selon le sens attaché à la formule : « cela se fit » en d’autres termes, le plan divin se révèle à elle par l’entremise du Verbe ; puis elle le voit réalisé. L’instant où la lumière, aperçut sous ses formes distinctes l’ouvrage dont elle avait connu le dessein dans le Verbe, fut le troisième soir. Il en fut de même jusqu’au matin qui finit et commença le sixième jour.

CHAPITRE XXIII. DE LA CONNAISSANCE FORT DIFFÉRENTE QU’ON A DES CHOSES SELON QU’ON LES VOIT EN DIEU OU EN ELLES-MÊMES.


40. L’idée qu’on se forme des choses est en effet bien différente selon qu’on les voit en Dieu ou en elles-mêmes : la différence est aussi profonde qu’entre le jour et le soir. Comparée à la lumière contemplée au sein du Verbe, la notion qu’on se forme en considérant les choses elles-mêmes n’est qu’une nuit ; en revanche cette notion comparée à l’ignorance et aux préjugés des esprits qui ne connaissent pas même les choses dans leurs propriétés naturelles, est un véritable jour. C’est à ce titre que la vie des fidèles ici-bas, dans les liens de la chair et du monde, si on la compare à l’existence en dehors de la foi et de la piété, mérite le nom de lumière et de jour que lui donne l’Apôtre : « Vous étiez autrefois ténèbres : vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur[1] » et ailleurs : « Renonçons aux œuvres de ténèbres et revêtons-nous des armes

  1. Eph. 5, 8