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nombre resterait également parfait ; mais s’il n’était pas parfait, le monde, qui reproduit les mêmes rapports, n’aurait plus la même perfection.

CHAPITRE VIII. DU REPOS DE DIEU LE SEPTIÈME JOUR : QUEL SENS FAUT-IL ATTACHER A CE MOT ?


15. L’Écriture nous apprend que Dieu se reposa le septième jour de toutes ses œuvres, et qu’à ce titre il le bénit et le sanctifia. Si nous voulons comprendre ce mystérieux repos, selon (a portée de notre intelligence soutenue par la grâce divine, commençons par bannir de notre esprit toute idée charnelle. Peut-on sans impiété se figurer et dire que la création a coûté quelque travail à Dieu, quand nous voyons les choses sortir du néant à sa parole ? Que l’exécution suive le commandement, ce n’est plus une fatigue, même pour l’homme. Sans doute, la parole exigeant qu’on frappe l’air, finit par devenir une fatigue : mais, quand il s’agit de prononcer quelques mots, comme ceux que Dieu fait entendre dans l’Écriture : fiat lux, fiat firmamentum, et ainsi de suite, jusqu’à l’achèvement de la création au septième jour, il y aurait une extravagance par trop ridicule a soutenir qu’elles lassent, je ne dis pas Dieu, mais un homme.
16. Dirait-on que la fatigue consistât pour Dieu, non à donner des ordres immédiatement exécutés, mais à méditer profondément les moyens de réaliser ses plans ; que délivré de cette préoccupation à la vue de 1a perfection de ses œuvres, il se reposa et voulut avec raison bénir, sanctifier le jour où, pour la première fois, il n’eut plus à déployer une si grande attention ? Un pareil raisonnement serait le comble de la déraison. L’intelligence est en Dieu infinie, illimitée, comme la puissance elle-même.

CHAPITRE IX. SUITE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT. – LE PRINCIPE DE LA TRISTESSE EST QUELQUEFOIS EXCELLENT.


A quelle idée faut-il donc s’arrêter ? Ne faudrait-il pas voir ici le repos que prennent en Dieu les créatures intelligentes dont l’homme fait partie, après avoir atteint leur développement, par le secours du Saint-Esprit qui répand la charité dans nos cœurs[1], et que nos désirs les plus ardents doivent nous porter au centre du repos heureux où nous n’aurons plus rien à désirer ? On dit avec raison que Dieu fait tout ce que nous faisons par son secours ; de même, on se repose en lui, quand le repos est un de ses bienfaits.
17. Cette idée est facile à concevoir. S’il est une vérité aisée à comprendre, c’est que Dieu se repose, lorsqu’il nous accorde le repos, au même titre qu’il connaît, lorsqu’il éclaire notre intelligence. En effet Dieu ne prend pas connaissance avec le temps de ce qu’il ignorait auparavant ; et pourtant il dit à Abraham : « Je sais maintenant que tu crains Dieu[2]. » Or, que peuvent signifier ces paroles, sinon, j’ai fait connaître à quel point tu crains Dieu ? Ces sortes d’expressions, où nous attribuons à Dieu des actes qui ne s’accomplissent pas en lui, ont pour but de nous apprendre qu’il en est le principe : j’entends des actes conformes au bien, sans dépasser la portée des termes de l’Écriture. Car nous ne devons hasarder sur Dieu aucune proposition de ce genre, sans l’avoir lue dans l’Écriture.
18. A ce genre d’expressions se rattache, selon moi, le passage où l’Apôtre nous dit : « Gardez-vous de contrister l’Esprit de Dieu, qui vous a marqué de son sceau, au jour de votre délivrance[3]. » Assurément la tristesse ne peut atteindre la substance de l’Esprit-Saint ou l’Esprit-Saint lui-même, qui jouit d’un bonheur éternel, ou plutôt qui est la béatitude immuable et souveraine. Mais l’Esprit-Saint habite dans le cœur des justes, pour les remplir de la charité, qui seule ici-bas apprend aux hommes à voir avec joie les progrès des fidèles dans la vertu et leurs bonnes œuvres ; aussi sont-ils attristés par les fautes ou la chute même des chrétiens dont ils considéraient avec bonheur la toi et la piété tristesse digne d’éloges, puisqu’elle à pour principe la charité que l’Esprit-Saint leur inspire. Si donc on dit que l’Esprit-Saint est contristé par les pécheurs, c’est uniquement en vue de faire entendre que les âmes saintes, ses hôtes, déplorent de pareils crimes, et qu’elles sont animées par une charité assez vive pour s’affliger sur le sort de ces malheureux, surtout si elles les avaient connus ou crus vertueux. Cette tristesse, loin d’être une faiblesse, est une vertu qu’on ne saurait trop louer.
19. Le même Apôtre fait un admirable emploi de cette forme de langage, quand il s’écrie : « Maintenant que vous connaissez Dieu ou plutôt

  1. Rom. 5, 3
  2. Gen. 22, 12
  3. Eph. 4, 30