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LECHAPITRE V. DE LA SENSIBILITÉ DE L’ÂME.


7. A ce titre la sensation n’est point un phénomène physique : c’est l’âme qui sent au moyen des organes. On a beau démontrer avec finesse que la division des sens correspond à la diversité même des éléments, l’âme immatérielle et seule douée de la facilité de sentir, est le principe secret qui met la sensibilité en jeu dans les organes. Son activité succède donc immédiatement au mouvement subtil du feu, mais elle n’obtient pas les mêmes effets dans tous les organes : dans l’opération de la vue, elle refoule la chaleur et atteint la lumière ; dans celle de l’ouïe, elle pénètre avec la chaleur du feu jusqu’au fluide de l’air ; dans l’acte de l’odorat, elle dépasse l’air pur et atteint ces émanations des eaux qui composent l’atmosphère ; dans l’acte du goût, elle atteint les humeurs aqueuses et grasses du corps ; enfin, elle dépasse ces humeurs et, rencontrant la masse argileuse du corps, elle exécute l’opération du toucher.

CHAPITRE VI. L’AIR N’A POINT ÉTÉ OMIS PAR L’AUTEUR DE LA GENÈSE.


8. L’auteur de la Genèse n’ignorait donc ni les propriétés des éléments ni leur ordre, puisqu’en introduisant dans l’univers les êtres visibles, destinés à se mouvoir au sein des éléments, selon leur espèce, il a successivement parlé dans ses récits des luminaires du ciel, des animaux nés des eaux, enfin des animaux terrestres. S’il n’a pas nommé l’air, ce n’est point une omission : cela vient de ce que la région paisible et tranquille de l’air, où, dit-on, les oiseaux ne peuvent voler, touche au ciel étoilé et, d’après son élévation, prend dans l’Écriture le nom de ciel ; tandis que sous le nom de terre, il faut comprendre tout l’espace qui s’étend depuis la région des météores, « flamme, grêle, neige, glace, tempêtes, abîmes de toute sorte[1] » jusqu’au globe solide qui est la terre proprement dite. Ainsi, l’air le plus élevé faisant partie de la plus haute région, ou ne renfermant aucune créature analogue à celles dont il est ici question, n’a été ni omis, puisque le ciel est nommé, ni cité, puisqu’il n’avait aucun rapport avec cet ordre de créatures ; quant à l’air inférieur, comme il recueille les vapeurs qui s’élèvent de la terre et de la mer, et qu’il se condense en quelque sorte pour être capable de porter les oiseaux, les seuls animaux qui y sont introduits viennent des eaux. L’atmosphère, en effet, porte les oiseaux, et ils s’y soutiennent avec leurs ailes, comme les poissons fendent les eaux avec leurs nageoires.

CHAPITRE VII. IL EST PROBABLE QUE LES OISEAUX TIRENT LEUR ORIGINE DE L’EAU.


9. C’est donc avec une exactitude scientifique pour ainsi dire, que l’Esprit de Dieu qui inspirait 1'-auteur de la Genèse, nous apprend que tout ce qui vole a pris naissance dans les eaux. Ce domaine s’est divisé en deux, l’eau condensée en bas, l’atmosphère en haut, pour recevoir la double espèce de ces animaux, ceux qui nagent et ceux qui volent. Aussi ont-ils été pourvus des deux sens qui ont le plus de rapport avec cet élément, l’odorat, pour apprécier les vapeurs, le goût, pour apprécier la pureté de l’eau. Le tact, sans doute, nous permet de sentir l’eau et le vent, grâce à la matière terreuse qui s’y mêle : mais pour ces éléments si condensés que l’on peut les manier, le tact est encore plus développé. On a donc eu raison de comprendre sous l’expression générale de terre tous les éléments distribués dans ces deux parties de l’univers ; cet ordre est clairement marqué dans le Psalmiste : « Louez le Seigneur dans les cieux » voilà pour les sphères supérieures ; « louez le Seigneur sur la terre » voilà pour la région inférieure, qu’il assigne comme domaine aux tempêtes, aux abîmes, et à ce feu qui brûle celui qui le touche[2]. En effet, le feu ne s’échappe de l’eau et de la terre en mouvement que pour se transformer immédiatement en un autre élément. Bien qu’il révèle sa tendance à s’élever en haut par son mouvement ascensionnel, il est cependant incapable de percer jusqu’à la hauteur paisible des cieux : l’atmosphère l’étouffe et l’absorbe. Aussi s’agite-t-il en mouvements bruyants au sein de cette masse impure et engourdie, afin d’en tempérer l’inertie, et de servir aux hommes d’auxiliaire ou d’épouvantail même.
10. Comme le toucher permet de percevoir l’agitation des eaux et le mouvement de l’air et qu’il est surtout relatif à l’élément de la terre, les

  1. Ps. 148, 8, 7
  2. Ps. 148, 1-6