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effet, a tant d’affinité avec l’eau, qu’il s’épaissit avec les vapeurs, produit le vent et comme l’âme des tempêtes, rassemble les nuages, et est assez lourd pour porter les oiseaux. Un poète profane a dit peut-être avec vérité : « L’Olympe domine les nuages et sa cime est paisible [1] » on prétend en effet que l’air est si rare au sommet de l’Olympe, qu’il n’est jamais obscurci par les nuages ni agité par le vent : il est même trop léger pour porter les oiseaux ou suffire à la respiration de l’homme, accoutumé à une atmosphère moins subtile, si d’aventure il faisait l’ascension de la montagne. Cependant, l’air lui-même quitte ses hauteurs pour se mêler intimement avec l’eau, et on a raison de croire qu’il s’est fondu en eau à l’époque du déluge : car on ne saurait admettre qu’il ait envahi l’espace réservé au ciel étoilé, quand les flots dépassèrent les plus hautes montagnes.

CHAPITRE III. OPINIONS DES SAVANTS SUR LA TRANSFORMATION DES ÉLÉMENTS. L’AIR N’EST POINT OMIS DANS LA GENÈSE.


4. La transformation des éléments, il est vrai, soulève bien des difficultés même parmi les savants qui consacrent à ces recherches tout leur temps et toute leur sagacité. D’après ceux-ci, il n’est aucun élément qui ne puisse se transformer et se changer en un autre : selon ceux-là, chaque élément aune propriété essentielle, irréductible, qui l’empêche de se fondre absolument avec un autre, Nous traiterons peut-être cette question, si Dieu le permet, avec le développement qu’elle comporte, quand l’ordre des idées l’appellera : pour le moment, j’ai jugé à propos d’en faire mention, afin de faire sentir avec quelle justesse on raconte la création des animaux aquatiques avant celle des animaux terrestres.
5. Il ne faut pas s’imaginer en effet que l’Écriture ait passé sous silence aucun des éléments (lui composent l’univers, et que, sur les quatre éléments si connus, il ne soit question que de trois, le ciel, l’eau, la terre, tandis que l’air serait omis. L’Écriture, pour désigner l’univers, emploie constamment les termes de ciel et de terre, en y ajoutant quelquefois celui de mer. Par conséquent, on peut confondre l’air, soit avec le ciel, soit avec la terre, selon que l’on en considère la paisible et tranquille élévation, ou la région voisine de la terre, pleine de vapeurs et d’agitation. Voilà pourquoi, au lieu de dire : que les eaux produisent des animaux qui se meuvent et qui vivent et que l’air produise des oiseaux qui volent sur la terre ; l’Écriture raconte que ces deux espèces ont été tirées des eaux. Ainsi on a résumé sous un même mot et les eaux condensées qui s’écoulent, séjour des poissons, et les eaux suspendues sous forme de vapeurs, séjour des oiseaux.

CHAPITRE IV. DES RAPPORTS QUI EXISTENT ENTRE LES QUATRE ÉLÉMENTS ET LES CINQ SENS.


6. Certains philosophes ont poussé l’analyse jusqu’à distinguer les opérations des cinq sens d’après le rôle qu’y remplissent les quatre éléments : d’après eux la vue à rapport au feu, l’ouïe à l’air, l’odorat et le goût se rattachent à l’eau ; l’odorat en effet, exige pour s’exercer les exhalaisons qui vont épaissir l’air où volent les oiseaux ; le goût, la sécrétion d’une humeur grasse et visqueuse. La saveur des substances n’est perçue qu’à la condition qu’elles se mêlent à la salive, fussent-elles toutes sèches quand elles ont été introduites dans la bouche. Cependant le feu se mêle à tous les éléments pour y produire le mouvement.L'eau, en effet, se congèle par défaut de chaleur, et quoique les autres éléments puissent être portés à une haute température, le feu ne peut perdre la sienne : il s’éteint et cesse d’être, plutôt que de rester froid ou de s’attiédir au contact d’un corps froid. Quant au cinquième sens, le tact, il correspond à la terre : remarquez qu’il est répandu sur toute la surface du corps qui n’est qu’une argile transformée. On ajoute même que les corps cesseraient d’être visibles ou palpables, en l’absence du feu ou de la terre. Il faut donc conclure que tous les éléments se mêlent entre eux et que leur nom vient de la propriété maîtresse qui les distingue. Pourquoi les sens s’émoussent-ils, quand le corps éprouve un froid trop vif ? Cela tient au ralentissement du mouvement naturel que le corps doit à la chaleur, et qui s’opère au moment que le feu se mêle à l’air, l’air à l’eau, l’eau à la masse argileuse du corps, les éléments les plus subtils pénétrant les plus épais. Plus la matière est subtile, plus elle se rapproche sans doute de l’esprit : toutefois, il y a toujours un abîme entre ces deux substances, puisque l’une reste corps et que l’autre ne le devient jamais.

  1. Lucain, liv. 1