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d’éviter ; elle consisterait à prendre le passage du Psalmiste : « Il a fondé la terre sur les eaux » et à opposer, ce témoignage de l’Écriture aux théories des physiciens sur la pesanteur des corps. En effet comme ils n’admettent pas l’autorité des livres saints et qu’ils ignorent le véritable sens de ce passage, ils auraient plus de pente à s’en moquer qu’à renoncer aux vérités qu’ils tiennent du raisonnement ou de l’expérience. Or, ce passage du Psalmiste peut fort bien s’entendre au sens figuré : le ciel et la terre sont souvent une métaphore dans le tangage de l’Église pour représenter l’état spirituel ou charnel des âmes. Par conséquent, le Psalmiste, en parlant des cieux « que Dieu a créés dans l’intelligence[1] » aurait désigné la contemplation sans nuage de la vérité ; la terre aurait été pour lui le symbole de la foi naïve des esprits simples, qui, sans se laisser égarer par de vaines théories, ont trouvé dans la prédication des prophètes et de l’Évangile un fondement devenu inébranlable par la grâce du Baptême : aussi ajoute-t-il : « il a fondé la terre sur l’eau. » Aime-t-on mieux expliquer ces paroles à la lettre ? Elles rappellent naturellement les montagnes, les îles qui s’élèvent au-dessus du niveau de la mer, ou même les grottes dont la voûte est suspendue au-dessus des eaux. Ainsi d’après le sens littéral, ce passage ne peut signifier que l’eau, en vertu des lois de la nature, formait une base capable de porter la terre.

CHAPITRE II. L’AIR EST PLUS LÉGER QUE LA TERRE.


5. L’air s’élève naturellement au-dessus de l’eau, quoiqu’il se répande à la surface de la terre par sa force d’expansion ; c’est ce que l’expérience démontre. Enfoncez un vase dans l’eau, l’orifice renversé ; il ne peut s’emplir, tant il est vrai que l’air a la propriété de se tenir plus haut. Le vase semble vide, mais il est évidemment plein d’air : car, comme l’air ne peut plus s’échapper par l’orifice et que sa nature l’empêche de descendre sous la couche liquide, il se concentre, repousse l’eau et l’empêche de monter ; mais si vous inclinez l’ouverture du vase, au lieu de l’enfoncer verticalement, l’air trouve une issue pour s’échapper et l’eau s’élève. Tenez le vase en l’air avec son entrée parfaitement libre, et versez-y de l’eau : l’air trouve un passage partout où vous ne versez pas et fait un vide où l’eau pénètre ; mais si le vase, sous une pression violente, perd sa position, et que l’eau s’y précipite de toutes parts, de façon à obstruer l’ouverture, l’air la divise pour regagner sa hauteur naturelle et lui laisse une place au fond : le bruit intermittent qu’on entend alors, vient des efforts de l’air pour s’échapper successivement, l’ouverture trop étroite né lui permettant pas de sortir tout d’un coup. Ainsi, l’air est-il obligé de monter au-dessus de l’eau ? Il en perce les couches, et la fait jaillir en bulles légères par son impétuosité ; il s’évapore bruyamment pour reprendre sa position naturelle et laisser l’eau retomber à la place que lui assigne sa pesanteur. Veut-on au contraire le forcer à passer d’un vase sous l’eau, en tenant l’orifice renversé ? On aura moins de peine à le renfermer sous l’eau de tous côtés qu’à en faire entrer la moindre goutte par l’orifice.

CHAPITRE III. LE FEU EST PLUS LÉGER QUE L’AIR.


6. Quant au feu, son mouvement ascensionnel n’indique-t-il pas qu’il tend à s’élever au-dessus de l’air ? Tenez un flambeau renversé, la pointe de la flamme ne s’en dirige pas moins vers le ciel. Cependant, comme le feu s’éteint dans l’air quand il devient trop épais, et qu’il perd ses propriétés pour se confondre avec lui, il ne pourrait atteindre, jusqu’aux dernières limites de l’atmosphère. De là vient qu’on nomme ciel le feu pur répandu au-delà de l’atmosphère ; c’est là, selon quelques physiciens, la matière première des astres, qui ne seraient qu’une inclinaison de cette lumière ardente transformée en sphères solides comme nous les voyons aujourd’hui dans le ciel dans le ciel. Ils ajoutent que si l’air et l’eau sont au-dessus de la terre, c’est que leur pesanteur est moindre : de même que si l’air est suspendu sur l’eau ou sur la terre, c’est qu’il pèse moins que l’eau. Ils soutiennent donc qu’un peu d’air, en supposant qu’on prit l’introduire dans les hautes régions du ciel, en retomberait par son propre poids, jusqu’à ce qu’il rencontrât notre atmosphère ; et ils concluent que l’eau ne pourrait à plus forte raison séjourner au-dessus des régions où brille le feu pur, puisque l’air, spécifiquement plus léger, ne saurait y rester en équilibre.

  1. Ps. 135, 5-6