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vérités chrétiennes, débiterait tant d’absurdités, qu’en le voyant avancer des erreurs grosses comme des montagnes, ils pourraient à peine s’empêcher de rire. Qu’un homme provoque le rire par ses bévues, c’est un petit inconvénient ; le mal est de faire croire aux infidèles que les écrivains sacrés en sont les auteurs, et de leur prêter, au préjudice des âmes dont le salut nous préoccupe, un air d’ignorance grossière et ridicule. Comment en effet, après avoir vu un chrétien se tromper sur des vérités qui leur sont familières, et attribuer à nos saints Livres ses fausses opinions, comment, dis-je, pourraient-ils embrasser, sur l’autorité de ces mêmes livres, les dogmes de la résurrection des corps, de la vie éternelle, du royaume des cieux, quand ils s’imaginent y découvrir des erreurs sur des vérités démontrées par le raisonnement et l’expérience ? On ne saurait dire l’embarras et le chagrin où ces téméraires ergoteurs jettent les chrétiens éclairés. Sont-ils accusés et presque convaincus de soutenir une opinion fausse, absurde, par des adversaires qui ne reconnaissent pas l’autorité de l’Écriture ? on les voit chercher à s’appuyer sur l’Écriture même, pour défendre leur assertion aussi présomptueuse que fausse, citer les passages les plus propres, selon eux, à prouver en leur faveur, et se perdre en de vains discours, sans savoir ni ce qu’ils avancent ni les arguments dont ils se servent pour l’établir[1].

CHAPITRE XX. BUT DE L’AUTEUR EN EXPLIQUANT LA GENÈSE A DIVERS POINTS DE VUE.



40. Dans cette discussion, j’ai éclairci le texte de la Genèse, en multipliant les explications autant que je l’ai pu ; j’ai proposé différents commentaires sur les passages obscurs où Dieu exerce notre intelligence. Je n’ai rien avancé avec une présomption qui condamne d’avance tout autre solution, quoiqu’elle puisse être meilleure ; on peut, selon la portée de son esprit, admettre l’application qu’on trouve la plus satisfaisante, à condition d’accueillir les passages difficiles avec autant de respect pour l’Écriture que de défiance pour soi-même. Que ces explications si diverses des paroles sacrées servent du moins à en imposer aux personnes qui, enflées de leur science mondaine, critiquent comme une œuvre de barbarie et d’ignorance des paroles destinées à entretenir la piété dans les cœurs : elles n’ont pas d’ailes et rampent sur la terre, grenouilles boiteuses qui poursuivent de leurs coassements les oiseaux dans leur nid. Plus dangereuse encore est l’illusion de ces faibles chrétiens qui, en entendant les impies discuter sur le mouvement des corps célestes ou sur les phénomènes physiques avec autant de finesse que d’éloquence, se sentent anéantis : ils soupirent en se comparant à ces prétendus grands hommes ; ils reviennent avec dégoût à l’Écriture, source de la plus pure piété, et se résignent à peine à effleurer ces livres qu’ils devraient dévorer avec délices ; le labeur de la moisson leur répugne et ils jettent un regard avide sur des épines fleuries. Ils ne s’appliquent plus à goûter combien le Seigneur est doux[2] ; ils n’ont pas faim le jour du sabbat ; et telle est leur indolence que, malgré la permission du Seigneur, ils ne peuvent se résoudre à arracher les épines, à les retourner entre leurs mains et à les broyer, jusqu’à ce qu’enfin ils en extraient la nourriture[3].

CHAPITRE XXI. AVANTAGE D’UN COMMENTAIRE QUI EXCLUT TOUTE PROPOSITION HASARDÉE.



41. On va me dire : Eh bien ! que résulte-t-il de ces discussions agitées avec tant de fracas ? Où est le bon grain que tu as recueilli ? Pourquoi la plupart de ces problèmes restent-ils aussi obscurs qu’auparavant ? Affirme enfin quelques-unes de ces vérités dont la plupart, à t’entendre, sont accessibles à l’esprit. Ma réponse est facile ; J’ai trouvé un aliment délicieux ; je me suis convaincu qu’en s’inspirant de la foi, on trouve toujours une réponse à faire aux spirituels qui se plaisent à attaquer les Livres de notre salut. Ont-ils, sur la nature, des principes solidement établis ? Nous leur prouvons que l’Écriture n’y contredit pas. Tirent-ils des ouvrages profanes quelque proposition contraire à l’Écriture, c’est-à-dire, à la foi catholique ? Nous avons la logique pour en démontrer la fausseté, ou la foi pour la rejeter sans l’ombre d’un doute. Ainsi demeurons attachés à notre Médiateur, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science[4] ; et gardons-nous tout ensemble des sophismes d’une philosophie verbeuse, et des terreurs superstitieuses d’une fausse religion. Lisons-nous les livres saints ? Dans cette multitude de pensées vraies, exprimées en quelques mots et protégées par

  1. 1 Tim. 1, 7
  2. Ps. 33, 9
  3. Mt. 12, 1
  4. Col. 2, 3