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les sons tout formés : or, celui qui parle ne fait pas d’abord entendre des sons confus, quitte à les rassembler pour en composer des mots. De même le Créateur n’a pas fait d’abord la matière, pour en tirer plus tard les différentes espèces d’êtres, comme s’il avait modifié son plan matière et forme, il a tout créé à la fois. Cependant comme le fond précède la forme, non en date, mais en principe, l’Écriture a légitimement établi dans son récit, des époques que Dieu n’a point mises dans l’acte créateur. Qu’on demande si dans le langage les mots se forment avec les sons ou les sons avec les mots ; quoique en parlant on accomplisse cette double opération, on voit sans peine celle qui précède l’autre. Or, Dieu ayant créé simultanément et la matière et les formes qu’il lui a données, l’Écriture devait marquer cette double action ; mais, comme elle ne pouvait la raconter que successivement, ne devait-elle pas parler de la substance avant d’en exposer les modifications ? Comment en douter ? En parlant du fond et de la forme, nous concevons ces deux idées à la fois, et nous les exprimons séparément. Or, si nous sommes incapables d’exprimer les deux mots à la fois dans un moment très-court, il fallait bien décrire successivement les deux actes dans un récit développe, quoique Dieu les ait accomplis en même temps. De la sorte, l’acte qui n’était le premier qu’en principe, s’est placé au début du récit. Si deux idées, sans être antérieures l’une à l’autre dans l’esprit, ne peuvent s’énoncer simultanément, à plus forte raison ne peuvent-elles s’exposer à la fois dans un récit. Il n’est donc pas douteux que la matière informe, presque voisine du néant, n’ait été créée par Dieu seul en même temps que les œuvres dont elle était comme le fond.
30. Si donc on dit avec raison qu’il n’est question que de la matière dans ce passage : « La terre était invisible et sans ordre, et l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux » c’est pour faire comprendre, à part l’intervention du Saint-Esprit, et pour rendre sensible aux esprits les plus lourds l’imperfection de la matière, même dans les choses visibles qui vont être nommées : la terre et l’eau sont, en effet, les substances les plus faciles à mettre en œuvre, et les mots de l’Écriture sont bien choisis pour indiquer leur imperfection originelle.

CHAPITRE XVI. NOUVELLE MANIÈRE D’EXPLIQUER LA SUCCESSION DES JOURS ET DES NUITS PAR L’ÉMISSION OU L’AFFAIBLISSEMENT DE LA LUMIÈRE : QUELLE EST PEU SATISFAISANTE.



31. Mais, si cette opinion est vraisemblable, il faut renoncer à l’idée que la lumière éclairait un côté du globe, en laissant l’autre dans l’ombre ; on ne doit plus expliquer ainsi la succession du jour et de la nuit. Veut-on concevoir le jour et la nuit en admettant que les rayons lumineux sont susceptibles de s’allonger ou de se raccourcir ? Mais je ne vois pas dans quel but se serait produit ce phénomène. Il n’existait point alors d’animaux pour profiter du bienfait de ce mouvement alternatif ; il s’établit après leur naissance, et fut réglé par le cours du soleil. D’ailleurs on ne saurait prouver par aucun exemple que la lumière, en se dilatant ou en se contractant, produit la succession du jour et de la nuit. Lorsque l’œil étincelle, on voit comme un jet de lumière ; ce jet peut se raccourcir, quand nous considérons un point dans l’air tout près de nos yeux ; il peut s’allonger, quand, sous le même angle, nous cherchons à fixer un point éloigné. Cependant, l’affaiblissement des rayons ne nous empêche pas absolument de distinguer les objets dans le lointain ; ils sont seulement plus obscurs qu’au moment où les regards s’y concentraient. Mais d’ailleurs la lumière est en si petite quantité dans l’organe de la vue, que, sans la lumière du dehors, nous serions incapables de voir ; et, comme elle ne peut guère se distinguer de celle qui nous environne, je ne vois pas par quel exemple on pourrait justifier l’hypothèse suivant laquelle la lumière se dilaterait, pour produire le jour, et se contracterait, pour produire la nuit.

CHAPITRE XVII. HYPOTHÈSE DE LA LUMIÈRE INTELLECTUELLE ; DIFFICULTÉS QU’ELLE ENTRAÎNE ; COMMENT ELLE SERT A EXPLIQUER LE SOIR ET LE MATIN, LA SÉPARATION DE LA LUMIÈRE D’AVEC LES TÉNÈBRES.



32. Est-ce une lumière intellectuelle qui fut créée au moment où Dieu dit : « Que la lumière soit » ? Je n’entends point par là cette lumière coéternelle au Père, par qui tout a été fait et qui