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éternelle de son Verbe sans la moindre succession de syllabes, la lumière s’est laite si lentement, dans l’espace d’un jour jusqu’au soir. Serait-ce que la lumière se fit en un instant, et que la durée du jour fut consacrée à la séparer d’avec les ténèbres et à les nommer toutes deux ? Mais il serait étrange que cet acte eût demandé à Dieu le temps que nous mettons à en parler. Car la séparation de la lumière et des ténèbres fut la conséquence immédiate de la création de la lumière, puisqu’elle ne pouvait se produire sans se distinguer des ténèbres.
20. « Dieu nomma la lumière jour, et les ténèbres, nuit » mais en admettant même que cet acte eût été accompli avec des mots nettement articulés, aurait-il fallu plus de temps que nous n’en mettrions à dire : que la lumière s’appelle jour, et les ténèbres, nuit ? On ne poussera pas sans doute l’extravagance jusqu’à s’imaginer que, Dieu surpassant tout par sa grandeur, les syllabes sorties de sa bouche, si peu nombreuses qu’elles aient été, aient pris un volume capable de remplir un jour entier. Ajoutons que Dieu a nommé la lumière jour, et les ténèbres nuit, dans son Verbe coéternel, je veux dire, dans la pensée tout intérieure de son immuable Sagesse, sans avoir recours à dessous matériels. On veut encore savoir dans quelle langue Dieu s’est exprimé, en supposant qu’il se soit servi d’une langue humaine ; et on se demande s’il était nécessaire d’employer des sons fugitifs, dans l’absence de tout être capable de les entendre : à pareille question impossible de répondre.
21. Faut-il avancer que, l’œuvre divine instantanément accomplie, la lumière brilla, avant l’arrivée de la nuit, tout le temps nécessaire pour former un jour, que les ténèbres succédèrent à la lumière aussi longtemps qu’il fallut pour former une nuit, et que, le premier jour écoulé, l’aurore du jour suivant se leva ? En soutenant cette opinion, je craindrais fort de faire rire, soit ceux qui savent avec une pleine certitude, soit ceux qui peuvent remarquer qu’au moment même où la nuit règne dans notre pays, la lumière éclaire les contrées que traverse le soleil pour revenir de l’occident à l’orient, et que dès lors par conséquent, dans les vingt-quatre heures de la révolution diurne, il est impassible de ne pas voir régner ici la nuit, ailleurs le jour. Allons-nous donc placer Dieu à un point de l’espace où survenait le soir, au moment que la lumière quittait cette région pour en éclairer une autre ? Sans doute il est dit dans le livre de l’Ecclésiaste « Et le soleil se lève, et le soleil se couche, et il revient à sa place » c’est-à-dire, à son point de départ ; on y lit encore : « En se lavant il va vers le midi et décrit un cercle vers l’aquilon.nPar conséquent, nous avons le jour, lorsque le soleil éclaire la partie méridionale du globe, et nous avons la nuit, lorsqu’il a décrit le cercle qui le ramène au nord. Mais il est impossible à ce moment que le jour ne brille pas dans une autre contrée où le soleil est sur l’horizon. Pour admettre cette hypothèse, il faudrait abandonner son imagination aux fictions des poètes, se figurer avec eux que le soleil se plonge dans la mer et, qu’après s’y être baigné, il en sort le matin du côté opposé. Encore, s’il en était ainsi, le fond de l’Océan serait-il éclairé par les rayons du soleil et le jour brillerait dans ses abîmes. Pourquoi en effet le soleil ne répandrait-il pas sa lumière dans l’eau, puisqu’elle n’aurait pas la propriété de l’éteindre ! Mais on sent combien cette hypothèse est bizarre ; d’ailleurs le soleil n’existait pas encore.
22. En résumé, est-ce une lumière spirituelle quia été créée le premier jour ? Comment a-t-elle disparu pour faire place à la nuit ? Est-ce une lumière matérielle ? Qu’est-ce que la lumière qui devient invisible après le coucher du soleil, puisqu’il n’y avait alors ni lune ni constellation ? Estelle toujours dans la même région du ciel que le soleil, de telle sorte que, sans être le rayonnement de cet astre, elle lui serve de compagne inséparable et reste confondue avec lui ? Mais on ne fait que reproduire le problème avec toute sa difficulté. La lumière étant, dans cette hypothèse ; intimement unie au soleil, exécute la même révolution de l’Occident à l’Orient : elle est donc dans l’autre hémisphère, quand le nôtre est enveloppé des ténèbres de la nuit ; ce qui aboutit-il cette conséquence impie, que Dieu était isolé dans une certaine région dont la lumière s’éloigne, pour produire le soir à ses yeux. Enfin, Dieu aurait-il créé la lumière au lieu même où il allait bientôt créer l’homme ? Serait-ce au moment où la lumière quittait ce lieu que le soir serait survenu ? Aurait-elle gagé une autre partie du monde, pour reparaître le matin, après avoir achevé sa révolution ?