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séparée d’un côté comme par un coin noir ; ils s’imaginent que ce sont deux royaumes opposés, auxquels ils rapportent l’origine de toutes choses, et sur ces rêveries ils bâtissent toutes leurs fables. Leur demanderai-je sous la foi du serment s’ils croient à la vérité de ce qu’ils disent ? Peut-être n’oseront-ils me répondre et me diront-ils à leur tour : Fais-nous donc toi-même connaître la vérité ! Et si je me contente de leur répliquer qu’ils regardent cette lumière dont la lueur leur montre que croire n’est pas comprendre, eux-mêmes sont prêts à affirmer avec serment que les yeux ne peuvent l’apercevoir, qu’on ne peut se la représenter dans une étendue locale, qu’elle s’offre partout à ceux qui la recherchent ; l’esprit ne peut rien découvrir avec plus de certitude et de clarté.

97. De plus, tout ce que je viens d’énoncer sur cette lumière de l’intelligence ne m’a été dévoilé que par elle. Par elle en effet je comprends la vérité de mes paroles et c’est elle encore qui me fait voir que je la comprends. Allons plus loin : si un homme comprend qu’il comprend, si de plus il se rend compte de ce dernier acte de son entendement et toujours ainsi, je comprends qu’il s’engage dans l’infini, et qu’il n’y a dans cet infini ni espace ni changement. Je comprends aussi que je ne puis comprendre sans être vivant, et je comprends encore mieux qu’en comprenant j’ai plus de vie. Car la vie éternelle surpasse par sa nature même la vie temporelle, et je ne puis savoir ce que c’est que l’éternité, autrement que par un acte de mon intelligence. Le regard de mon esprit en sépare tout ce qui est muable et je ne puis distinguer en elle aucun temps, parce que le temps suppose des successions de mouvements. Mais dans l’éternité rien ne passe, rien n’est à venir ; ce qui finit cesse d’être, et ce qui doit commencer n’est pas encore : l’éternité est toujours. Elle n’a pas été, comme si elle n’était plus ; elle ne sera pas, comme si elle n’était pas encore. Aussi a-t-elle pu, seule, dire à l’esprit de l’homme : « Je suis celui qui suis ; » et l’on a pu dire d’elle avec la même vérité « Celui qui est, m’a envoyé[1]. »

CHAPITRE L.

COMMENT FAUT-IL ÉTUDIER L’ÉCRITURE SAINTE ?

98. Si nous ne pouvons nous attacher encore à elle, faisons au moins la guerre à nos vaines rêveries, éloignons du théâtre de notre esprit ces amusements si frivoles et si trompeurs ; et montons les degrés que la divine providence a daigné disposer pour nous. Séduits par les fictions théâtrales, nous nous perdions dans la vanité de nos pensées et nous allions consumer toute notre vie en des rêves insensés. Mais l’ineffable miséricorde de Dieu n’a point laissé devenir à nous par le ministère de la créature raisonnable, soumise à ses lois. Non-seulement les sons articulés et l’écriture, mais encore la fumée, le feu, la colonne, la nuée furent les signes visibles de sa pensée ; les paraboles et les comparaisons charmèrent nove enfance, ce fut comme la boue qui guérit les yeux de notre âme.

99. Examinons donc ce que nous devons connaître par le témoignage de l’histoire ou découvrir aux clartés de l’évidence ; ce qu’il faut croire et confier à la mémoire avant d’en comprendre le sens ; où est la vérité, non celle qui arrive et qui passe, mais la vérité immuable ; comment découvrir le sens allégorique des vérités révélées par l’Esprit-Saint ; s’il suffit d’appliquer les actions visibles du passé aux événements extérieurs des temps actuels ou s’il faut encore y voir figurées les passions et la nature de l’âme, et jusqu’à l’immuable éternité ; s’il y a de ces figurés pour signifier les faits extérieurs, d’autres qui se rapportent aux passions de l’âme, d’autres aux lois éternelles, d’autres enfin où l’on puisse découvrir tout cela en même temps ; quel est l’objet immuable de la foi à laquelle se doivent rapporter toutes les interprétations ; si c’est un objet historique et temporel, ou bien spirituel et éternel ; comment arriver à l’intelligence et à l’amour des biens éternels, où est la fin des bonnes œuvres et la claire vue de ce que l’on a cru dans le temps ; ce qui distingue l’allégorie de l’histoire et l’allégorie des faits, celle des discours et celle des rites sacrés ; comment faut-il interpréter, selon le génie de chaque langue les expressions employées dans l’Écriture ; car cher tous les peuples il y a des locutions, qui, traduites dans une autre langue,

  1. Exo. 3, 4.