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cherche point le mensonge[1]; qui sache se dire à lui-même : s’il n’y a qu’une seule ville de Rome, fondée aux bords du Tibre par je ne sais quel Romulus, celle que je forme dans ma pensée est fausse : elle n’est point la véritable ; je n’y suis pas non plus en esprit ; autrement je saurais ce qui s’y passe. S’il n’y a qu’un soleil, celui que je forme dans ma pensée est faux ; car l’un suit sa route au temps et aux lieux marqués, je place l’autre où je veux et quand je veux. Si je n’ai que cet ami, celui que je forme dans ma pensée est faux aussi ; car je ne sais où est celui-là ; celui-ci va au gré de mon imagination. Moi-même, je suis un : je sens que mon corps est ici ; et cependant mes pensées me conduisent où je veux, me font parler avec qui je veux. Évidemment tout cela est faux, et personne n’a l’intelligence de ce qui est faux. Je ne puis donc le comprendre lorsque je m’y arrête et que j’y crois ; car je ne dois comprendre une chose qu’autant qu’elle est vraie. N’est-ce pas ainsi qu’on doit raisonner sur ce qu’ils appellent les fantômes ? Comment donc mon âme est-elle remplie d’illusions ? Où est la vérité que contemple l’intelligence ? À cette question on pourra répondre : la vraie lumière est celle qui te montre la fausseté de ces images. Par elle tu découvres cette unité suprême d’après laquelle tu juges tout ce que tu vois ; tout en comprenant qu’elle n’est rien de ce qui change.

CHAPITRE XXXV.

COMMENT NOUS DEVONS NOUS REPOSER DANS LA CONNAISSANCE DE DIEU.

65. Si cette vue fait trembler le regard de votre âme, arrêtez-vous, ne luttez pas, combattez seulement votre entraînement vers les corps, domptez-le et vous aurez surmonté tous les obstacles. Ce que nous cherchons c’est l’unité, l’unité dans toute sa simplicité. Cherchons donc cette unité divine dans la simplicité de notre cœur. « Soyez en repos, est-il écrit, et vous reconnaîtrez que je suis le Seigneur[2]. » Ce n’est point un repos de lâcheté, c’est le repos de la pensée que ne fatigue ni le temps ni l’espace ; car les images que produisent le volume et l’inconstance des objets matériels nous dérobent la vue de l’invariable unité. Dans l’espace, les objets tentent nos désirs ; le temps les ravit à notre amour et nous laisse dans l’esprit le tourbillon de vaines pensées qui excitent et portent ça et là nos désirs. Ainsi l’âme devient chagrine ; et vainement cherche-t-elle à posséder ce qui la possède elle-même. On l’invite donc au repos, c’est-à-dire à ne point aimer ce qu’elle ne peut aimer sans fatigue. Ainsi pourra-t-elle dominer les créatures, en être la maîtresse et non plus l’esclave. « Mon joug est léger », est-il écrit[3]. Tout donc est soumis à celui qui accepte ce joug. Pour lui plus de fatigue, car ce qui est soumis n’oppose plus de résistance. Qu’ils sont malheureux, au contraire, les amis de ce monde ! Ils en seraient les rois s’ils eussent voulu être les fils de Dieu, puisqu’il « leur a été donné de « devenir les enfants de Dieu[4]. » Mais ces amis du monde redoutent tellement de s’arracher à ses caresses, que rien n’est plus fatiguant pour eux que d’être sans fatigue.

CHAPITRE XXXVI.

LE VERBE DE DIEU EST LA VÉRITÉ, ÉGALE À SON PREMIER PRINCIPE. — LE PÉCHÉ SEULE CAUSE DE NOS ERREURS.

66. Mais quand au moins on voit clairement que la fausseté consiste à croire ce qui n’est pas, on comprend que la vérité consiste à montrer ce qui est. Or, comment les corps nous induisent-ils en erreur ? N’est-ce point parce qu’ils ne reproduisent pas complètement cette unité qu’ils cherchent à imiter, ce vrai principe de tout ce qui est un, dont l’idée est tellement gravée en nous que nous trouvons bien ce qui en conserve quelques traces et que nous blâmons ce qui s’en éloigne et la dénature ? S’il en est ainsi, on peut comprendre qu’il y ait une autre unité tellement semblable à ce premier et unique modèle de tout ce qui est un, qu’elle l’égale complètement comme un autre lui-même. Or cette autre unité est la Vérité, le Verbe qui est dans le Principe, le Verbe qui est Dieu en Dieu. Puisque la fausseté dans les créatures ne vient pas de ce qu’elles imitent l’unité, mais de ce qu’elles ne s’y conforment pas entièrement, ce qui a pu la réaliser et devenir ce qu’elle est, n’est-il pas la Vérité même ? Cette Vérité manifeste l’unité telle qu’elle est. Aussi est-elle appelée son

  1. Psa. 4,3,4
  2. Psa. 45,11
  3. Mat. 11, 30.
  4. Jn. 1, 42.