qui, d’ordinaire, attirent le plus notre attention et provoquent le plus énergiquement nos efforts : car ce sont ceux-là que nous aimons le mieux, n’est-ce pas ton avis ? — L’E. Assurément. — Le M. Eh ! pouvons-nous nous éprendre d’autre chose que de la beauté ? Car, bien que certaines gens aiment la laideur et, comme disent communément les Grecs, ont des goûts bas', il importe de savoir jusqu’à quel point cette laideur est moins belle que ce qui plaît au grand nombre. Il est bien évident en effet que personne n’a de goût pour ce qui révolte les sens par sa laideur. — L’E. Cela est vrai. — Le M. Ces beaux objets plaisent par une exacte proportion, comme nous l’avons déjà vu ; et cette proportion ne se retrouve pas seulement dans les beautés qui relèvent de l’oreille ou dans les mouvements des corps, mais encore dans les formes qui tombent sous les regards et auxquelles on donne plus communément le nom de belles. N’y a-t-il pas en effet proportion et harmonie, lorsque dans un corps deux membres forment la paire et se correspondent, ou qu’un organe unique, occupe une place intermédiaire, à une égale distance de chaque côté [1]? — L’E. C’est bien mon avis. Le M. Que cherchons-nous dans la lumière, reine de toutes les couleurs qui nous charment en revêtant les formes corporelles ; que cherchons-nous, dis-je, dans la lumière et les couleurs, sinon cette mesure qui est en rapport avec nos sens ? Nous nous détournons d’un éclat excessif, nos regards se refusent à percer une obscurité drop épaisse, de même que les sons, quand ils sont trop forts, nous étourdissent, et, quand ils sont trop faibles, nous déplaisent, ce qui vient, non des intervalles de temps, mais du son même qui est comme la lumière de la musique et auquel est opposé le silence, au même titre que les couleurs aux ténèbres. Donc en recherchant dans ces objets ce qui est en proportion avec notre nature, en y repoussant ce qui nous est disproportionné, quoique nous comprenions bien qu’ils peuvent convenir à d’autres — êtres, ne sommes-nous pas charmés par un certain sentiment d’égalité qui nous révèle qu’en vertu de rapports cachés, il y a symétrie entre des choses égales ? C’est ce qu’on peut observer dans les parfums, les saveurs, et dans le toucher ; s’il est, difficile d’analyser ces sensations avec profondeur, il est très-aisé d’en faire l’expérience : car il n’y a rien dans les choses visibles qui ne nous flatte par sa symétrie et son analogie. Or, partout où il y a symétrie et analogie, il y a harmonie. Car y a-t-il rien de plus symétrique, de plus analogue, que un plus un ? Aurais-tu quelque objection à me présenter ? — L’E. Je partage complètement cet avis.
39. Mais la théorie que nous avons exposée plus haut, ne nous a-t-elle pas convaincus que c’est là un effet de l’âme sur les organes et non une impression des organes sur l’âme ? — L’E. Oui, assurément. — Le M. Le désir de réagir contre les impressions du corps détourne l’âme de la contemplation des choses éternelles, en la distrayant par l’appas des plaisirs sensibles, et c’est ce qu’elle fait par les nombres de réaction ; elle en est encore détournée par le désir de mettre les corps en mouvement, et c’est ce qu’elle fait par les nombres de progrès ; elle en est détournée par les représentations et les chimères de l’imagination, c’est ce qui a lieu par les nombres de mémoire ; elle l’est enfin par le désir qu’elle éprouve d’arriver à la connaissance frivole de pareils objets, c’est ce qui a lieu par les nombres sensibles où se mêlent certaines règles qui sont une apparence agréable de l’art ; de là vient une recherche curieuse qui, comme le nom même l’indique (cura), est ennemie de la tranquillité, et à cause de sa frivolité même, n’atteint jamais la vérité.
40. Le besoin général d’agir qui nous écarte de la vérité a sa source dans l’orgueil, vice qui a pour conséquence d’inspirer à l’âme le désir d’imiter au lieu de servir Dieu. C’est donc avec raison qu’il est écrit dans les saintes Lettres : « Le commencement de l’orgueil chez l’homme est de s’éloigner de Dieu ; » ou encore : « le commencement de toute faute, c’est l’orgueil. » Et l’on ne saurait mieux définir l’orgueil que par ces mots de l’Écriture : « D’où vient que la cendre et la poussière s’enorgueillit, elle qui jette au-dehors ses propres biens[2]? » En effet, l’âme n’étant rien par elle-même, autrement elle serait au-dessus du changement et ne perdrait rien de la plénitude de son être, l’âme, dis-je, n’étant rien par elle-même et tenant toute son essence de Dieu, tant qu’elle reste dans sa condition, elle possède par la communication avec Dieu toutes les