Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/486

Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE X.

DU RÔLE QUE JOUE LA RAISON DANS L’ÉTUDE DE LA MUSIQUE DONT LE CHARME TIENT EXCLUSIVEMENT À UN RAPPORT D’ÉGALITÉ.

25. Réfléchis maintenant à la puissance de la raison, autant que nous pouvons la saisir dans ses manifestations. Pour me renfermer dans ce qui a trait à cet ouvrage, c’est elle qui d’abord a observé en quoi consistait une belle modulation et reconnu qu’elle dépendait d’un mouvement libre, sans autre fin que sa propre beauté. Puis, elle a remarqué que dans les mouvements des corps, il y avait une différence marquée tantôt par des intervalles de temps plus ou moins longs, tantôt par des battements de mesures, plus ou moins lents. Cette distinction établie, elle a découvert le secret de changer en nombres de diverses espèces la durée du temps, en la divisant par intervalles proportionnés et en rapport avec les besoins de l’oreille humaine ; elle en a parcouru la série graduellement jusqu’à la cadence particulière au vers. En dernier lieu elle a réfléchi au rôle que, pour mesurer, produire, sentir et garder ces nombres, jouait l’âme dont elle est la partie maîtresse ; elle a distingué les mouvements de l’âme et des sens ; elle a reconnu qu’elle ne pouvait elle-même remarquer tous ces mouvements, les discerner, les compter avec justesse, sans le concours de nombres qui n’appartenaient qu’à elle, et, par une décision souveraine, elle les a mis au-dessus de tous les nombres de l’ordre inférieur.

26. Réduite à l’émotion délicieuse qui lui est propre, la raison, quand elle apprécie la succession des temps et qu’elle modifie ces mouvements par son influence souveraine, se pose cette question : Qu’est-ce qui nous charme dans l’harmonie sensible ? Est-ce autre chose qu’une certaine symétrie et des intervalles de temps également mesurés ? Le pyrrhique, le spondée, l’anapeste, le dactyle, le procéleusmatique, le dispondée, auraient-ils pour nous quelque charme, si leurs deux parties ne se correspondaient par un mode égal de division ? Et d’où vient la beauté de l’iambe, du trochée, du tribraque, sinon que la plus petite partie divise la plus grande en deux syllabes d’une égale quantité ? Et les pieds de six temps, à quoi tient leur cadence plus gracieuse et plus charmante, sinon à leur double mode de division ? Car, ils se divisent soit en deux parties égales composées chacune de trois temps, soit en une partie simple et une partie double, dans un rapport tel que la plus grande renferme deux fois la plus petite, laquelle avec ses deux temps, coupe en une mesure égale de deux temps les quatre temps de la première. Voyez au contraire les pieds de cinq et de sept temps ! Pourquoi conviennent-ils mieux à la prose qu’à la poésie ? N’est-ce pas à cause que la plus petite fraction ne divise pas la plus grande en parties égales ? Et toutefois, s’ils concourent à former des cadences harmonieuses dans leur ordre et dans leur espèce, d’où tiennent-ils cette propriété, sinon de ce que, dans les pieds de cinq temps, la petite fraction a deux subdivisions en rapport avec les trois subdivisions de la grande, et que, dans les pieds de sept temps, la petite a trois subdivisions en rapport avec les quatre subdivisions de la grande ? Ainsi, dans un pied quelconque, il n’est pas de partie si petite qu’elle soit, admettant une mesure régulière, à laquelle ne s’unissent toutes les autres par un rapport d’égalité aussi étroit que possible.

27. Allons plus loin ; dans un enchaînement de pieds, soit qu’il ait une étendue indéterminée, comme le rythme, soit qu’il ait une fin déterminée, comme le mètre, soit qu’il se partage en deux hémistiches liés étroitement entre eux, comme le vers, quel autre rapport que celui de l’égalité, établit entre les pieds une alliance intime ? Pourquoi, dans le molosse et dans les ioniques, la syllabe longue du milieu peut-elle se partager en deux intervalles égaux, non par une césure, mais par la volonté de celui qui la prononcé ou qui en frappe la mesure, de telle façon que le pied tout entier soit ramené à un rapport de trois temps, quand il est combiné avec des pieds qui admettent ce mode de division ; pourquoi, dis-je, cette syllabe longue peut-elle se partager ainsi, sinon parce qu’elle est égale aux deux syllabes qui commencent et finissent le pied et qui, comme elle, sont de deux temps ? Pourquoi l’amphibraque[1] n’est-il pas susceptible de se partager ainsi, quand il est uni à des pieds de quatre temps, sinon parce que, les deux syllabes extrêmes étant brèves, et la moyenne, longue, il

  1. Bref tout autouré psamphi-braxus c’est-à-dire à chaque extrémité U¯U.