grande que l’esclave, eût-il toutes les prérogatives de sa nature. Mais, par la faute de sa maîtresse, il a une existence bien inférieure à l’existence qu’il possédait, tandis qu’elle-même, avant sa faute, vivait d’une vie plus parfaite.
14. Aussi, tout périssable et tout fragile que soit le corps, l’âme n’en est maîtresse qu’à force de peine et d’attention. Là est la source de l’erreur qui lui fait mettre les plaisirs des sens, dans lesquels la matière se prête docilement à son attention, au-dessus de la santé elle-même qui n’exige aucun effort d’attention. Faut-il donc s’étonner si les chagrins se multiplient en elle, puisqu’elle préfère l’inquiétude à la sécurité ? Si elle se tourne vers son Maître, elle voit naître une nouvelle préoccupation, la crainte d’en être détournée, jusqu’à ce qu’elle sente s’arrêter le mouvement impétueux des passions de la chair, devenu effréné par la force d’une habitude invétérée et qui mêle au retour de l’âme à Dieu le désordre des souvenirs. Quand les mouvements qui l’entraînaient vers les choses extérieures se sont apaisés, elle goûte intérieurement ce libre repos dont le sabbat est le symbole ; alors elle reconnaît que Dieu seul est son maître, le seul maître que l’on serve avec une entière liberté. Quant aux mouvements de la chair, elle ne les étouffe pas avec la même puissance qu’elle les développe : car, si le péché dépend d’elle, la punition attachée au péché est hors de son pouvoir. L’âme en elle-même est une force puissante, mais elle ne garde pas au même degré le pouvoir d’étouffer les passions. Elle est plus forte au moment du péché ; après le péché, elle est affaiblie par un effet de la loi divine et moins capable de détruire son propre ouvrage. « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu, au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur[1]. » Le mouvement de l’âme, en tant qu’il garde sa vivacité et qu’il n’est pas encore effacé, subsiste donc, comme on dit, dans la mémoire ; et, lorsque l’âme prend une autre direction, le mouvement intérieur n’étant plus pour ainsi dire dans le cœur va en s’affaiblissant, à moins que dans l’intervalle il ne se renouvelle sous l’influence de mouvements analogues.
15. Je voudrais bien savoir si tu n’as rien à opposer à ces explications. — L’E. Tes raisons me semblent plausibles et j’aurais mauvaise grâce à ne pas m’y rendre. — Le M. Donc, puisque la sensibilité consiste à réagir contre les mouvements produits dans le corps, tu ne penses pas sans doute que notre insensibilité quand on nous coupe un os, les ongles, les cheveux, vient de ce que ces substances n’ont aucune vie en nous ; dans ce cas en effet elles ne feraient pas partie de l’organisme, elles ne pourraient ni s’y nourrir, ni s’y développer, ni se reproduire. La vraie raison, c’est que l’air, cet élément si subtil, n’y pénètre pas assez librement pour que l’âme puisse riposter par un mouvement aussi rapide que la réaction qu’elle oppose dans le phénomène de la sensation. C’est ainsi qu’on peut comprendre la vie dans les arbres et dans le règne végétal, sans qu’on puisse à aucun titre la mettre au-dessus, je ne dis pas de la vie de l’homme, qui a le privilège de la raison, mais de l’existence des bêtes. Il est fort différent en effet d’être insensible par suite d’une absolue privation d’intelligence, ou par l’effet d’une excellente santé ; car ici, il y a absence d’organes capables d’être ébranlés pour résister aux impressions du corps, et là, absence d’impression. — L’E. J’approuve tes idées et je me range entièrement à ton avis.
CHAPITRE VI.
16. Le M. Reviens donc avec moi à notre sujet et réponds à cette question : des trois espèces de nombres qui ont leur principe dans la mémoire, dans la sensibilité et dans le son, lesquels te semblent les premiers et les plus parfaits ? — L’E. Les nombres sonores me semblent inférieurs à ceux qui sont dans l’âme et qui ont pour ainsi dire la vie ; quant aux deux autres, je ne sais trop lequel mérite la prééminence ; toutefois, comme nous avons déjà avancé que les nombres qui ont l’activité pour principe, ont, sur ceux qui résident dans la mémoire, la supériorité de la cause sur l’effet, peut-être faut-il, en vertu du même raisonnement, mettre ceux qui sont dans l’âme, quand nous entendons, au-dessus de ceux qui, à leur occasion, se produisent dans la mémoire. — Le M. Cette réponse a quelque chose de plausible. Mais nous venons de voir que les nombres qui résident dans la sensibilité, ne sont au fond que des actes de l’âme ; comment donc