convaincu. — Le M. Eh bien ! le mètre qui résulte évidemment d’un assemblage de pieds, doit-il être astis au nombre des choses qui repoussent toute division ? Vois s’il n’y a pas impossibilité absolue, de soumettre une chose indivisible à la succession du temps, et contradiction, à regarder comme indivisible un tout composé de parties divisibles. — L’E. Les choses de cette dernière espèce sont tout à fait susceptibles d’être divisées. — Le M.Or, dans les objets susceptibles d’être divisés, n’y a-t-il pas surcroît de beauté, si les parties sont assorties entre elles avec une certaine symétrie, au lieu de ne présenter ni ensemble ni harmonie ? — L’E. Cela est incontestable. — Le M. Eh bien ! Quel est le nombre qui produit dans les pieds cette division symétrique ? N’est-ce pas le nombre deux ? — L’E. Assurément. — Le M. Donc, puisque nous avons reconnu qu’un pied se divise en deux parties correspondantes, et que c’est par cette symétrie qu’il flatte l’oreille, si nous trouvons un mètre tout semblable, n’aurons-nous pas le droit de le préférer à tous ceux qui n’ont pas ce caractère ? — L' E. J’y souscris entièrement.
CHAPITRE III.
3. Le M. Fort bien. Réponds donc à cette question : comme il y a dans tout ce qui se mesure par un certain intervalle de temps des parties qui précèdent, suivent, commencent, finissent, ne te semble-t-il pas qu’il doive exister une différence entre le membre qui forme la tête et le commencement du mètre et celui qui vient à la suite et le termine ? — L’E. C’est mon avis. — Le M. Dis-moi donc quelle différence il y a entre ces deux membres de vers :
Cornua velatarum vertimus antennarum[1].
Si nous prononçons ce vers, sans employer l’expression de Virgile, obvertimus, n’arrive-t-il pas en le répétant plusieurs fois, qu’on ne distingue plus le premier membre du second ! — L’E. Il est vrai, toute distinction disparaît. — Le M. Ne faut-il pas éviter cette confusion ? — L’E. Sans doute. — Le M.Vois donc si on ne l’a pas évitée avec succès dans ce vers :
Arma virumque cano Truje qui primus ab oris ;
Le premier membre est arma virumque cano, le second : Trojae qui primus ab oris. Ils sont tellement différents, que, si tu intervertis l’ordre et que tu dises :
Trojae qui primus ab oris arma virumque cauo ; il faut scander avec une tout autre espèce de pied. — L’E. J’entends. — le M. Vois encore si ce principe a été observé dans les vers suivants. Tu reconnais en effet la mesure du premier membre : arma virumque cano, dans Italiam fato ; littora multum ille et ; vi superum saevae ; multa quoque et bello ; inferretque deos ; albanique patres. Bref, poursuis cet examen aussi loin qu’il te plaira dans l’Enéide ; tu verras que tous les premiers membres des vers ont la même mesure, en d’autres termes, que le partage se fait au cinquième demi-pied. Italiam fato. Il est fort rare que ce pariage n’ait pas lieu de la même manière et de façon à rendre également symétrique les seconds membres des vers qui sont ici : Trojae qui primus ab oris ; profugus Lavinaque venit ; terris jactatus et alto ; memorem Junonis ob iram ; passus dum conderet urbern ; Latio genus unde latinum ; atque altae mœnia Romse. — L’E. Rien de plus évident.
4. Le M.Ainsi on trouve deux membres, l’un de cinq demi-pieds, l’autre de sept, dans le vers héroïque qui, comme ou le sait, se compose de six pieds de quatre temps chacun Sans la symétrie des deux membres, soit celle-ci, soit quelque autre, il n’y a plus de vers. Or, comme la raison nous l’a démontré, il faut distribuer ces membres de manière qu’on ne puisse les substituer l’un à l’autre. Autrement un pareil assemblage ne saurait plus s’appeler vers que par extension. Ce serait un rythme, un mètre, chose fort rare dans les longs poèmes, et qui toutefois n’est pas sans grâce, comme celui que nous avons déjà cité :
Cornua velatarum vertimus antennarum.
Voilà pourquoi le mot de vers ne me semble pas venir, comme le pensent une foule de critiques, de ce que l’on revient d’une fin déterminée au commencement dans la même combinaison de pied. Selon eux le mot de vers serait emprunté à l’habitude de se tourner, vertere, versum, quand on revient sur ses pas. À vrai dire, c’est là un trait évidemment commun au vers et aux mètres qui ne sont pas vers. Pour moi je vois dans ce mot une antiphrase ; de même
- ↑ Enéid. liv. 3. vers. 548.