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avons exposées dans notre second entretien. À ce propos, il est bon de savoir que les différentes espèces de mètres, employées par les poètes, sont dues à l’imagination de certains inventeurs et qu’il nous est interdit d’en modifier certaines règles déterminées : il ne faut, en effet, rien changer aux combinaisons qu’ils ont raisonnablement établies, lors même que nous pourrions le faire sans choquer la raison ni blesser l’oreille. Or, en cette matière, il faut consulter, non la théorie, mais la tradition, et se soumettre plutôt à l’autorité qu’au raisonnement. Nous ne pouvons pas en effet savoir logiquement que je ne sais quel Phaliscus a combiné deux mètres, de façon à produire cette cadence :

Quando flagella ligas, ita liga,

Vitis et utmus uti simul eant[1]. C’est une connaissance à laquelle on arrive par la tradition et la lecture. La question d’art, la seule qui soit de notre ressort, est d’examiner si ce mètre se compose de trois dactyles et d’un pyrrhique final, comme le veulent plusieurs personnes étrangères à la musique.

Elles ne s’aperçoivent pas que le pyrrhique va mat après le dactyle ; elles ignorent que, d’après les lois de la musique, le premier pied de ce mètre est un choriambe, le second, un ionique, dont la longue se décompose en deux brèves, le dernier, un iambe suivi d’un silence de trois temps : Les personnes à demi instruites pourraient sentir cette nuance, si elles voyaient un vrai musicien débiter ces vers et en marquer la mesure régulièrement. Car le bon sens leur permettrait d’apprécier tout naturellement ce qui est vraiment conforme aux règles de l’art.

31. Toutefois, puisque le poète a voulu que le nombre de ces pieds fût invariable, il faut nous soumettre à cette loi, quand nous employons ce mètre. En effet, l’oreille n’est pas choquée, et elle ne le serait pas davantage, si on substituait soit un diiambe au choriambe, soit un ionique, en décomposant la longue en brève, soit tout autre pied d’égale mesure. Ainsi donc nous ne changerons rien à ce mètre, fidèles en cela, non au raisonnement qui commande d’éviter l’inégalité, mais au raisonnement qui fait respecter l’autorité. Le raisonneur en effet nous apprend que, parmi les mètres, il y en a d’invariables par le fait même de leur origine, comme celui dont nous venons de parler assez longuement ; tandis que d’autres sont variables, c’est-à-dire, tels qu’on peut y substituer les pieds les uns aux autres, comme dans cet exemple :

Trojae qui primus ab oris, arma virumque cano.

Car ici on peut substituer partout l’anapeste au spondée[2]. Il en est d’autres qui ne sont ni tout à fait fixes ni tout à fait variables, comme :

Pendeat ex humeris dulcis chelys,

Et numeros edat varios, quibus

Assonet omne virens late nemus,

Et tortis errans qui flexibus[3].

Tu remarqueras en effet qu’on peut substitues partout le dactyle au spondée et réciproquement, sauf au dernier pied, qui, dans la pensée de l’inventeur doit toujours être un dactyle ; tu vois donc bien que, dans ces trois espèces de mètres, la tradition joue un grand rôle.

32. Mais pour tout ce qui ne relève que de la raison dans le mélange des pieds, quand elle est seule appelée à juger des combinaisons qui s’adressent à l’oreille, il faut bien retenir ce principe : les fractions de pied qui vont bien après des pieds déterminés, quand il y a un silence complémentaire, comme l’iambe après le ditrochée ou le second épitrite, le spondée après l’antispaste, vont mal après certains pieds auxquels pourtant les premiers s’unissaient avec grâce. Exemple : il est manifeste que l’iambe va très-bien après le molosse, comme dans ce mètre souvent cité, avec un silence de trois temps à la fin

Ver blandum viret floribus.

Mais si tu substitues au molosse un ditrochée, par exemple :

Vere terra viret floribus, l’oreille repousse cette combinaison et la condamne absolument. On peut faire aisément cette expérience sur d’autres mètres, en prenant l’oreille pour guide. C’est en effet une

Térence ; Pomponius.

  1. Quand tu entrelaces de jeunes plants, marie-les de façon que la vigne et l’ormeau puissent croître ensemble.
  2. Voir plus bas, liv. 5, ch. V.
  3. Puisse pendre à mes épaules la lyre harmonieuse ! Puisse-t-elle rendre des sons variés qui fassent retentir su loin tout le bois verdoyant et le fleuve qui se promène avec mille détours.