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LIVRE DEUXIÈME.
Des Syllabes et des Pieds.


CHAPITRE PREMIER.
Points de vue différents du grammairien et du musicien dans l’appréciation de la quantité des syllabes.

1. Le M. : Prête-moi donc toute ton attention. Je vais de nouveau ouvrir notre discussion comme par un nouvel exorde. Et d’abord, dis-moi si tu connais bien la quantité relative des syllabes longues et brèves, telle que l’enseignent les grammairiens ; ou bien, soit que tu la connaisses, soit que tu l’ignores, aimes-tu mieux que nous discutions comme si nous étions complètement étrangers à ces matières, et qu’ainsi nous suivions en tout le fil du raisonnement, sans nous laisser dominer par l’usage et les préjugés. — L’É. Je préfère cette méthode, et en cela je consulte à la fois la raison et, pourquoi rougir de l’avouer ? mon ignorance complète de la quantité des syllabes. — Le M. Eh bien ! dis-moi du moins si tu n’as pas observé par toi-même dans la conversation que, parmi les syllabes, les unes se prononcent rapidement et très-vite, les autres avec lenteur et en allongeant ? — L’É. Je n’ai pas été insensible à ces nuances. — Le M. Tu dois savoir que la science grammaticale, en latin, litteratura, se fonde sur la tradition, entièrement, comme le démontre un raisonnement rigoureux, ou du moins principalement, comme en conviennent les esprits les moins cultivés. Par exemple prononce la première syllabe de Cano, en l’allongeant, ou mets-la dans un vers, à un endroit qui exige une longue, le grammairien le reprendra au nom de la tradition dont il est le gardien : car, pour te prouver que cette syllabe doit être brève, il t’alléguera que les anciens, dans les œuvres qu’ils nous ont laissées, et que commentent les grammairiens, ont fait cette syllabe brève et non pas longue. L’autorité est donc ici l’unique règle. Quant à la musique, qui considère dans les mots la mesure rationnelle et le nombre, elle se borne à exiger qu’une syllabe soit longue ou brève, selon la place que lui assignent les règles de l’harmonie. Place en effet le mot Canok un endroit où il faut deux syllabes longues et allonge dans la prononciation la première syllabe qui est brève, le musicien n’en sera pas offensé : car les oreilles auront été frappées aussi longtemps que l’exigeait le rhythme. Mais le grammairien l’invitera à corriger ton expression et à lui substituer un mot dont la première syllabe soit brève, d’après l’autorité des anciens dont il garde les œuvres, comme nous l’avons dit.