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LIVRE PREMIER.


L’É. J’ai avancé que les arts relevaient, en général, de l’imitation : Je n’ai pis appelé l’art une pure imitation. — L. M. Eh bien ! les arts qui relèvent de l’imitation ne relèvent-ils pas également de la raison ? — L’É. À mon sens, ils se rattachent à ces deux principes. — L. M. Je le veux bien, mais la science, sur quel principe repose-t-elle : sur l’imitation ou sur la raison ? — L’É. Sur toutes deux. — L. M. À ce titre, tu accorderas la science aux oiseaux, puisque tu ne leur refuses pas le don de l’imitation. — L’É. Pas le moins du monde. Car j’ai avancé que la science dépendait de l’imitation et de la raison, non de l’imitation seule. — L. M. Voyons, penses-tu qu’elle puisse relever de la raison seule ? — L’É. Peut-être. — L. M. Ainsi donc tu distingues entre l’art et la science ; car la science, d’après toi, peut dépendre de la raison seule, tandis que la raison s’unit à l’imitation dans l’art. — L’É. Je ne vois pas que cette conclusion soit rigoureuse, car je n’ai pas dit que tous les arts, mais qu’une foule d’arts relèvent à la fois de la raison et de l’imitation. — L. M. Comment ! Appelleras-tu science ce qui dépend de ces deux principes, ou réserveras-tu ce nom à ce qui ne relève que de la raison ? — L’É. Et pourquoi donc ne pourrai-je appeler science l’union de la raison et de l’imitation ?

7. L. M. Puisque nous en sommes venus à parler du joueur de cithare et du joueur de flûte, c’est-à-dire de ce qui touche à la musique, dis-HHii s’il ne faut pas attribuer au corps, en d’autres termes, à une sorte de docilité des organes, les effets q ne CCS gens |>roduisentpir iinit ;iliiin ? — />7 :s. Sdoii moi citle docilité lient a l’âme et au corps tout ensemble. Cejiendant tu as employé, avec une justesse pariaile le mot de dncililé : lesorg.ines, en effet, ne doient obéir (pi’a l’âme. — L. J/. Je vois bien toutes les précaulions (pie lu emploies pour ne pas accorder exclusivenient au corjjs la faculté d’imitation. Nieras-tu néanmoins que la science soit le privilège de l’âme ? — LE. Comment le nier ?— A. .17. Tu ne |)iux donc, en aucune façon, rapporler à l’inutation et à la raison tout ensemble, la science qui apprend à faire vibrer les cordes et résonner les Ih’ites ; car cette imitation, tu l’as reconnu, ne peut exister sans le corps, tandis que la science ne procède que de l’âme. — LE. C’est la conséquence, je l’avoue, de ce que j’ai avancé, mais qu’importe ? Le joueur de flûte tiendra aussi sa science de son âme. L’imitation sans doute ne peut exister indépendamment du corps, mais en s’ajoutant à la science, elle ne fera pas disparaître cette science toute spirituelle qu’il possède. — L. M. Non, sans doute, elle ne la fait pas disparaître. Sans prit’ii Ire que tous ceux qui louchi-nl de ces instruments sont étrangers à la science ninsic de, je soutiens que tous ne la pufsi’dent pas. Voilà le point précis auquel je ramène la question, afin de faire complètement enti nlre, s’il est possible, avec quelle justesse nous avons fait entrer le mot science dans la définition de la musique ; car si les joueurs de flûte ou de lyre et autres gens qui exercent un pareil métier possédaient la science musicale, il n’y aurait rien, à mon sens, de plus bas et de plus vil que la musique.

Prête-moi toute ton attention pour voir apparaître clairement la vérité que nous cherchons avec tant de peine. Tu m’as accordé que la science ne réside que dans l’âme ? — Z,’£. Et comment ne pas l’accorder ? — L. M. Eh bien ! Est-ce dans l’âme ou dans le corps, ou dans l’un et dans l’autre que réside le sens de l’ou’ie ? —LE. Dans l’un et l’autre. — L. M. Et la mémoire ? — LE. Je crois qu’elle réside dans l’âme. Car si nous saisissons par les sens, les iiliénomèiH s ipie nous coulions à la mémoire, ce n’est pas nue raison pour croire que la mémoire ré.-iile dans le corps. — L. M. Tu sculèes là une question fort grave et qui est étrangère a iinlre discns-ion. ‘uici ipii suffira à notre sujet : les animaux sont doués de mémoire, tu ne saurais le mer. Les hirondelles, chaque année, reviennent à leur nid, et le poète a dit des chèvres avec beaucoup de justesse :

Un joyeux souvenir les ramène à l’étable[1].

Homère ne fait-il pas l’éloge du chien qui reconnaît son maître, déjà oublié de ses serviteurs ? Il serait possible de citer une foule d’exemples à l’appui de ce que j’avance. — LE. Je ne dis pas le contraire, mais que prétends-tu ? Je désire vivement le savoir. — L. M. Quoi ! n’est-il pas évident que celui qui a fait à l’âme seule le don de la science et l’a refusé à tous les animaux privés de raison, ne l’a placée ni dans les sens, ni dans la mémoire, puisque les sens sont inséparables des organes, que la hèle elle-même a des sens et de la mémoire, mais dans l’intelligence seule ? — L’É.

  1. [illisible]