Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/401

Cette page n’a pas encore été corrigée

TRAITÉ DE LA MUSIQUE[1].

AVERTISSEMENT.

Le traité de la musique se divise en deux parties : l’une, toute technique, renferme une exposition complète des règles de la Rhythmique et de la métrique ; elle comprend les cinq premiers livres : l’autre, plus philosophique, forme en quelque sorte la morale de l’ouvrage ; l’auteur, analysant les mouvements du cœur et de l’esprit humain, les mouvements des corps et de l’univers, remonte d’harmonie en harmonie, comme par une échelle mystique, jusqu’à l’harmonie éternelle et immuable. Dieu, principe de tous les mouvements et auteur de la loi qui les assujétit à l’ordre, en d’autres termes auteur de l’harmonie à tous ses degrés. Cette partie ne comprend qu’un seul livre ; c’est le plus célèbre. La première partie est une suite de préceptes, à part quelques détails gracieux, quelques réflexions prolonaes qui révèlent dans le métricien, tout occupé, ce semble, à mesurer des syllabes, le vigoureux philosophe et le brillant orateur : mais elle offre au plus haut degré l’intérêt qu’elle comportait. Nulle part l’alliance de la poésie et de la musique, ce problème si agité par les érudits, n’apparaît sous une forme plus simple ; on ne scande pas, on entend, j’allais dire, on chante le vers antique ; les iambes, les spondées, les dactyles lont place à des mesures musicales dont la raison et l’oreille sont juges ; et cette harmonie n’est pas aussi perdue qu’on le croit : elle a laissé des traces et comme un écho dans la mélopée de nos églises. Dès le début de l’ouvrage, il s’élève entre le Maître et l’élève une discussion en apparence plus métaphysique que musicale ; mais qu’on ne s’y trompe pas, elle découvre les principes qui ont dirigé l’auteur, dans la composition de son traité ; elle en contient toute la substance. Il s’agit de définir la musique, telle que l’auteur la comprend et veut la faire comprendre.

La musique a pour objet de déterminer les durées successives qui divisent un mouvement et le rapport qui les ordonne entre elles. Je dis mouvement en général ; la danse comme le chant est du domaine de la musique : car la danse consiste en des mouvements susceptibles de se mesurer et de se résoudre en cadences régulières ; les sons ne forment également un accord musical que parce qu’ils sont susceptibles de se diviser en intervalles réguliers que l’on peut mesurer par un battement. La Musique est donc la science des belles modulations ou des mouvements bien ordonnés ; pour découvrir la succession de ces mouvements et leur symétrie, le musicien doit remonter jusqu’à la théorie des nombres, examiner leurs rapports et leur progression : c’est sur ce modèle qu’il détermine l’échelle des sons et leurs différentes combinaisons. Les nombres sont le symbole de l’accord musical ; ils le représentent au même titre que les mots expriment la pensée, et les plaisirs de l’oreille supposent des rapports tout mathématiques. On reconnaîtra sans peine ici les principes du système musical tel que l’ont fondé en Grèce les Pythagoriciens.

La musique est donc une science : elle repose sur une théorie absolue, celle des nombres. Elle n’est pas, comme la prosodie, un ensemble de connaissances tout empiriques et par là elle se distingue de la grammaire qui, pour fixer la quantité des syllabes, se borne à consulter l’usage et l’exemple des grands poètes. Comme ses principes, sa méthode est toute rationnelle : elle déduit des rapports numériques, par une conséquence nécessaire, les rapports qui flattent l’oreille. On comprendra dès lors la portée des passages fort nombreux où l’auteur réclame, au nom de la raison, contre la routine des grammairiens : on ne s’étonnera plus de le voir apprendre la musique à un élève qui ignore les règles de la quantité. Les mots et leur quantité représentent des notes, les pieds, des mesures musicales. Les histrions et les danseurs de métier sont-ils des musiciens ? Non, l’auteur les exclut du chœur

  1. Voir hist. de S. Aug. chap. VIII, pag. 18 ; Rét. liv. I, ch. VI.