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mot langue désigne, non-seulement ce membre qu’en parlant nous faisons mouvoir dans la bouche, mais encore ce que produit ce mouvement, je veux dire là forme et la contexture des paroles ; nous disons dans ce sens : la langue grecque est différente de la langue latine. Ainsi nous appelons péché, non-seulement ce qui l’est à proprement parler, l’acte commis avec connaissance et liberté, mais encore ce qui est la conséquence nécessaire du châtiment du péché. Dans le même sens encore nous nommons nature ce qui est proprement la nature humaine, la nature où l’homme fut créé d’abord dans l’innocence ; nous appelons aussi nature celle où par suite du châtiment infligé au premier gomme devenu coupable, nous naissons sous l’empire de la mort, dans l’ignorance et soumis à la chair. C’est ainsi que l’Apôtre dit lui-même : « Nous avons été, comme les autres, enfants de colère par nature (1). »



CHAPITRE XX. IL N’EST PAS INJUSTE QUE LES DÉFAUTS, SUITES PÉNALES DU PÉCHÉ, SOIENT TRANSMIS A LA POSTÉRITÉ L’ADAM, QUELLE QUE SOIT L’OPINION VRAIE SUR L’ORIGINE DES AXES.

55. Il a plu très-justement à Dieu, suprême modérateur de toutes choses., que nous naissions de ce premier couple avec l’ignorance, la nécessité de la lutte et le germe de la mort, parce que tous deux, après avoir péché, ont été précipités dans l’erreur, la douleur et la mort. Ainsi devait se manifester la justice du Vengeur dans l’origine de l’homme, et dans. son développement la miséricorde du Libérateur. Par sa condamnation, le premier homme n’a pas été privé de la béatitude, de telle sorte qu’il fût en même temps privé de la fécondité. La raison en est que sa race, quoique charnelle et mortelle, pouvait encore contribuer en quelque chose à embellir et à orner le monde terrestre. Mais il n’eût pas été conforme à l’équité qu’il engendrât des enfants meilleurs que lui. Ce qui convenait, au contraire, c’est que chacun d’eux, par son retour à Dieu, pût triompher du châtiment de son origine mérité par la désertion primitive, et qu’in trouvât, pour y parvenir, non-seulement un Dieu qui ne s’y opposât pas, mais qui voulût lui-même

1. Ephés. III, 3.

y aider. Ainsi encore le Créateur montra combien l’homme aurait pu facilement se maintenir dans l’état où il avait été créé, puisque sa postérité a pu triompher du vice dans lequel elle est née. 56. Dans l’hypothèse où les âmes de tous les hommes qui naissent, sortiraient d’une âme unique créée d’abord, quel homme pourrait dire qu’il n’a point péché, puisque le premier a péché ? Si au contraire les âmes se forment une à une dans chacun de ceux qui naissent, il n’est pas injuste, mais parfaitement convenable et tout à fait conforme à l’ordre que la punition méritée de la première constitue la nature de la seconde, pourvu que la récompense méritée de la seconde la ramène à la nature de la première. En effet, que peut-il y avoir en cela de choquant, si le Créateur a voulu ainsi montrer que la dignité d’une âme l’emporte à un tel degré sur toutes les créatures corporelles, que le fond même de l’abîme dans lequel une âme est tombée puisse être le point de départ d’une autre âme. L’état d’ignorance et de lutte dans lequel est tombée l’âme pécheresse, s’appelle à juste titre un châtiment, puisqu’elle était meilleure avant de la subir. Mais si l’autre âme, non-seulement avant tout péché, mais encore avant de vivre d’une manière quelconque, a commencé d’être telle qu’est devenue la première après une vie coupable, elle n’est pas néanmoins dépourvue de tout bien, et elle a de justes raisons de rendre grâces à son Créateur ; car son origine même et son commencement l’emportent en excellence sur n’importe quel corps déjà parfait. En effet, ce ne sont pas de médiocres biens, d’abord d’être une âme, une nature qui par elle même surpasse tout corps ; puis d’avoir la faculté, avec l’aide de son Créateur, de pouvoir se travailler soi-même, et par ce pieux travail, d’acquérir en de posséder les vertus qui feront échapper aux angoisses de la lutte et aux ténèbres de l’ignorance. Si donc il en est ainsi, l’ignorance et la lutte ne seront pas pour les âmes qui naissent le supplice mérité par le péché, mais une excitation à s’améliorer, et le point de départ de la perfection. Et vraiment ce n’est pas peu de chose, avant tout mérite et toute bonne œuvre, d’avoir reçu un jugement naturel qui met à même de préférer la sagesse à l’erreur, et la paix victorieuse à la lutte, et d’y arriver non par la naissance mais par le travail. Que si l’âme s’y refuse, elle sera avec