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ne lui était pas due. Que peut-on devoir à qui n’est pas ? Et néanmoins quel mérite y a-t-il à s’attacher pour être meilleur à Celui de qui on a reçu l’être ? Quelle avance lui fais-tu pour la réclamer comme une dette ? N’est-il pas vrai que si tu refusais de t’attacher à lui, rien ne lui manquerait ? mais il te manquerait, à toi, Celui sans qui tu ne serais rien, Celui qui t’a fait une telle existence, que si tu ne t’attaches à lui pour lui rendre l’être qu’il t’a donné, à la vérité tu ne retomberas pas dans le néant, mais tu vivras dans le malheur. Toutes les choses lui doivent donc premièrement tout ce qu’elles sont, en tant que nature ; ensuite tout ce qu’elles peuvent devenir de mieux en le voulant, quand le vouloir leur a été donné ; enfin tout ce qu’elles doivent être. De là il suit qu’on n’est point responsable de ce qu’on n’a pas reçu, et qu’au contraire on est justement coupable, lorsqu’on ne fait pas ce que l’on doit. Or on doit quand on a reçu une volonté libre et des moyens suffisants. 46. Maintenant, le Créateur est si peu coupable quand on ne fait pas ce que l’on doit, qu’il y a là matière à le bénir, parce qu’on souffre ce que l’on mérite ; et l’on ne peut être blâmé de ne pas accomplir son devoir, que ne soit loué Celui pour qui on le doit accomplir. Si en effet on te loue de voir ce que tu as à faire, quoique tu ne lé voies que dans Celui qui est (immuable vérité, combien plus doit-on le louer lui-même, puisqu’il t’a commandé de le vouloir, puisqu’il t’en a donné le pouvoir, sans te permettre de refuser impunément ce même vouloir ? Effectivement, si chacun est redevable de ce qu’il a reçu, et si la nature donnée à l’homme le fait pécher inévitablement, l’homme doit pécher, et en péchant il accomplit son devoir. Mais cette pensée est un blasphème ; il est donc vrai que la nature de personne ne le pousse au péché (1). Il n’y est point forcé non plus par une autre nature. En effet ce n’est pas pécher que de souffrir ce que l’on ne veut pas ; car si l’on souffre justement, il n’y a point péché dans cette souffrance involontaire, mais dans l’acte volontaire qui l’a mérité, et si on la souffre injustement, comment y a-t-il péché ? Ce n’est pas l’injuste souffrance, mais l’acte injuste qui fait le péché. Et si le péché n’est nécessité, ni par la nature personnelle, ni par aucune nature étrangère,

1. Rét. Liv., ch. IX, n. 3.

il a sa cause évidemment dans la volonté du pécheur. Veux-tu attribuer cette volonté au Créateur ? ce sera justifier le pécheur, qui n’aura rien fait en dehors des desseins de son Créateur et qui n’aura pas péché, si le moyen employé pour le défendre est un moyen légitime. Comment alors rejeter sur le Créateur un péché qui n’a pas été commis ? Loue donc le Créateur, loue-le s’il est possible de soutenir le pécheur ; loue-le encore, s’il n’est pas possible. Car s’il est possible de le défendre avec justice, il n’a pas péché ; loue alors le Créateur ; et si cela n’est pas possible, c’est qu’il est pécheur pour s’être éloigné du Créateur ; loue donc encore le Créateur. Ainsi je ne découvre absolument aucun moyen, je soutiens même qu’on ne peut en trouver aucun et qu’il n’est pas possible d’attribuer nos péchés à Dieu notre Créateur. Ces péchés, en effet, me révèlent sa gloire, d’abord parce qu’il les punit, ensuite parce qu’on ne les commet qu’en s’écartant de la vérité divine. — E. J’écoute volontiers, j’admets tout cela et je crois, comme chose indubitable, que la droiture ne permet pas de rejeter nos fautes sur notre Créateur.



CHAPITRE XVII. LE PÉCHÉ A SA CAUSE PREMIÈRE DANS LA VOLONTÉ.

47. S’il était possible, néanmoins, je voudrais savoir pour quel motif un être ne pèche pas lorsque Dieu a prévu qu’il ne pécherait point et pour quel motif un autre pèche quand Dieu a prévu son péché. Je ne crois plus que la prescience divine fasse pécher celui-ci et non celui-là. Si cependant il n’y avait aucun motif, nous ne verrions pas ces trois catégories dans les êtres raisonnables, dont les uns ne pèchent jamais, les autres pèchent toujours, les autres enfin, tenant comme le milieu entre les deux, tantôt pèchent et tantôt reviennent au bien. Pourquoi ces trois classes ? Ne me réponds pas que là volonté même les établit c’est la cause de cette volonté que je cherche maintenant. Il y a certainement une causé qui fait que les uns ne veulent jamais pécher, que les autres le veulent toujours, que d’autres enfin tantôt le veulent et tantôt ne le veulent pas, quoique tous soient de même nature. Il me semble voir que cette triple catégorie