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après avoir compris avec beaucoup de justesse qu’une créature libre est meilleure quand elle demeure toujours unie à Dieu sans pécher jamais, considèrent les péchés des hommes et gémissent, non pour y mettre un terme, mais pour déplorer que ces hommes aient été créés et pour dire : Dieu n’aurait-il pas dû, en nous formant, nous accorder de vouloir être toujours attachés à son immuable vérité sans vouloir jamais pécher ? Qu’ils ne crient pas, qu’ils ne critiquent pas. Les a-t-il contraints à pécher quand en les créant il leur adonné simplement la puissance de le vouloir ? Et n’y a-t-il pas des anges qui, tout libres qu’ils soient, n’ont jamais péché et ne pécheront jamais ? Si donc tu aimes une créature dont la volonté affermie dans le bien ne pèche pas, tu as raison sans aucun doute de la préférer à celle qui pèche ; et si tu l’élèves, dans ta pensée au-dessus des autres, Dieu aussi l’a placée en réalité au-dessus d’elles. Crois donc qu’il y en a de pareilles dans les trônes supérieurs et au haut des cieux. Ah 1 si le Créateur a déployé tant de bonté en formant celles dont il prévoyait les péchés, n’est-il pas absolument impossible qu’il en ait moins déployé à produire celle dont il savait d’avance qu’elle éviterait toute faute ? 15. Cette créature sublime trouve en effet, dans la jouissance perpétuelle de son Créateur, un perpétuel bonheur qu’elle ne cesse de mériter par la constante volonté de demeurer toujours dans la justice. Vient ensuite celle qui a péché, qui a perdu le bonheur sans perdre le pouvoir de le recouvrer. Elle surpasse en dignité celle qui s’est abandonnée à la volonté de pécher toujours ; entre elle néanmoins et cette première qui demeure attachée à la justice, il y a encore un certain milieu : il est indiqué par l’âme qui s’est relevée dans l’humilité de la pénitence. Dieu en effet ne s’est même pas abstenu, dans sa munificence, de créer celle qu’il savait devoir non-seulement pécher, mais encore vouloir pécher éternellement. Tout vicieux qu’il soit, un cheval vaut mieux qu’une pierre ; car si celle-ci ne bronche point, c’est qu’elle n’a ni sentiment ni mouvement propre. Ainsi, la créature qui pèche librement est d’une nature plus élevée que celle qui ne pèche pas, faute de la liberté nécessaire. Je fais l’éloge d’un vin qui est bon considéré en lui-même, et je blâme l’homme qui en a pris jusqu’à s’enivrer. S’ensuit-il que je ne préfère pas cet homme ivre que j’ai blâmé, au vin dont j’ai fait l’éloge et dont il a bu avec excès ? Ainsi, considérées dans le rang qui leur est assigné, les créatures corporelles ont droit à nos éloges, et l’on doit censurer ceux qui en usent désordonnément et s’éloignent ainsi de la connaissance de la vérité. Il ne s’ensuit pas toutefois que ces derniers, déjà corrompus et comme enivrés, ne doivent pas en considération de l’excellence de leur nature et non de ce que méritent leurs vices, être préférés à ces mêmes créatures qui sont bonnes en elles-mêmes et dont l’amour excessif les a fait tomber. 16. Une âme quelconque est donc préférable à un corps quel qu’il soit ; si bas qu’elle soit descendue en péchant, quelque changement qu’elle ait subi, jamais elle ne devient corps, jamais elle ne perd sa nature d’âme ; jamais, par conséquent, ce qui l’élève au-dessus des corps, dont le premier en dignité est la lumière. Il en résulte que la dernière des âmes l’emporte sur ce premier des corps. Il est possible qu’un autre corps l’emporte sur le corps auquel est unie l’âme elle-même. Pourquoi alors ne pas louer Dieu ? Pourquoi ne le pas louer avec d’ineffables transports, de ce qu’après avoir créé les âmes dont il prévoyait l’incorruptible fidélité aux lois de la justice, il en a créé d’autres aussi tout en sachant qu’elles pécheraient, qu’elles persévéreraient même dans l’iniquité ? Ces dernières en effet sont préférables encore à celles qui ne peuvent pécher parce qu’elles n’ont ni raison ni libre arbitre. Celles-ci à leur tour valent mieux que les corps les plus brillants, que les corps dont quelques hommes, à grand tort il est vrai, prennent le splendide éclat pour la nature de Dieu même. Mais si dans le monde corporel il y a, depuis les chœurs des astres jusqu’au nombre compté de nos cheveux, une hiérarchie si harmonieuse de bontés et de beautés ; s’il faudrait n’avoir aucune expérience pour dire : Qu’est-ce que ceci ? ou : Pourquoi cela ? car tout a été créé dans l’ordre qui lui convient : combien plus il faudrait être dépourvu de sens pour parler ainsi d’une âme quelconque ; puisque sans aucun doute elle surpassera toujours en dignité tous les corps, quoiqu’elle ait perdu de sa beauté particulière ? 17. Autre en effet est l’appréciation que l’on fait au point de vue de la raison, et autre celle qui se fait au point de vue de l’utilité. La raison juge à la lumière de la vérité et