Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/366

Cette page n’a pas encore été corrigée

admirions dans les plus grandes ou dans les moindres, tout doit être rapporté à la louange incomparable et ineffable du Créateur. Aurais-tu quelque chose à ajouter ?



CHAPITRE XVIII. QUOIQU’ON PUISSE ABUSER DE LA VOLONTÉ LIBRE, ELLE DOIT ÊTRE COMPTÉE PARMI LES BIENS.

47. E. C’en est assez, je l’avoue, pour être persuadé ; l’évidence est faite, autant qu’elle peut l’être en cette vie et pour des esprits tels que nous sommes ; je reconnais que Dieu est, et que tous les biens viennent de Dieu ; car toutes les créatures, qu’elles aient à la fois l’intelligence, la vie et l’être, ou seulement l’être et la vie, ou seulement l’être, sont de Dieu. Maintenant abordons la troisième question et voyons si l’on peut la résoudre et compter la volonté libre parmi les biens. Quand ce point sera démontré, j’avouerai que c’est Dieu qui nous l’a donnée et qu’il a dû nous la donner. A. Tu te rappelles fort bien l’état de la discussion, et ta perspicacité a saisi que la seconde question est maintenant résolue. Mais tu as dû remarquer de même que la troisième l’est également. En effet, la raison pour laquelle il te paraissait que le libre arbitre de la volonté n’aurait pas dû être donné, c’est qu’on s’en sert pour pécher. A cette assertion, je t’ai répondu qu’on ne pouvait faire le bien sans ce même libre arbitre (1), et j’assurais que c’était plutôt pour cela que Dieu l’avait donné. Tu répliquas que la volonté libre aurait dû nous être donnée de la même manière que la justice, dont personne ne peut se servir que pour le bien. Cette réplique a engagé la discussion dans ces détours multipliés, qui m’ont fait aboutir à te prouver que les biens supérieurs et les biens inférieurs n’ont pas d’autre auteur que Dieu. Mais pour mettre ce point suffisamment en lumière, il a été nécessaire de combattre les opinions de la sottise impie qui fait dire à l’insensé dans son cœur : « Il n’y a point de Dieu (2) ; » et nous avons raisonné sur ce grave sujet selon notre pouvoir et de manière à y répandre de la clarté, avec l’aide de ce même Dieu qui nous a secourus dans ce périlleux trajet. Mais ces deux points, Dieu est, et il est l’auteur de tous les biens,

1. Rét. liv. I, ch. IX, n. 3. — 2. Ps. XIII, 1.

que nous admettions auparavant avec une foi inébranlable, ont été néanmoins traités de telle sorte, que le troisième en est lui-même éclairci avec une évidence manifeste. 48. La dernière discussion a démontré, ce dont nous sommes convenus ensemble, que la nature du corps est inférieure à la nature de l’âme, et, par conséquent, que l’âme est un plus grand bien que le corps. Or, quand nous trouvons dans le corps des biens dont l’homme peut abuser, nous ne disons pas pour cela qu’ils n’auraient pas dû lui être donnés, puisque nous reconnaissons que ce sont des biens ; mais alors est-il étonnant qu’il y ait aussi dans l’âme des biens dont nous pouvons de même abuser, et qui cependant ne peuvent nous avoir été donnés que par l’auteur de tous les biens, puisque ce sont des biens. En effet, tu vois quel grand bien manque à un corps lorsqu’il n’a pas de mains, et cependant on abuse des mains, lorsqu’on s’en sert pour commettre des actions cruelles ou honteuses. Si tu voyais un homme sans pieds, tu reconnaîtrais que l’intégrité de son corps est privée d’un bien considérable ; et cependant celui qui se sert de ses pieds pour aller nuire à quelqu’un ou se déshonorer lui-même, abuse de ses pieds, tu ne pourrais le nier. Avec les yeux, nous voyons cette lumière et nous distinguons les formes des corps ; et c’est une grande beauté de notre corps que ces organes y soient placés comme en un lieu noble et élevé ; de plus, ils servent à nous défendre contre ce qui pourrait nous nuire, et ils ont d’autres utilités nombreuses ; cependant la plupart des hommes abusent souvent des yeux pour des actions honteuses, et ils les forcent à faire le service de leurs passions. Et tu vois quel grand bien manquerait à un visage d’où les yeux seraient absents ! mais puisqu’ils y sont à leur place, qui donc les a donnés, si ce n’est le dispensateur de tous les biens ? Tu approuves ces biens dans le corps, et sans faire attention à ceux qui en abusent, tu loues Celui qui nous les a donnés. Tu dois raisonner de même sur la volonté libre, sans laquelle personne ne peut vivre avec droiture ; tu dois avouer qu’elle est un bien et un bienfait de Dieu, et qu’il faut condamner ceux qui abusent de ce bien pour faire le mal, plutôt que de prétendre que Celui qui nous en a dotés n’aurait pas dû la donner. 49. E. J’aimerais mieux t’entendre me prouver que la volonté libre est un bien ; je t’accorderais