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44. De tous les objets changeants que tu vois, il n’en est donc pas un seul que tu puisses saisir soit par les sens du corps, soit par l’attention de l’esprit, s’il ne subsiste dans une forme numérique, à tel point, que, si cette forme lui est ôtée, l’objet retombe dans le néant. Par conséquent, pour que toutes ces choses changeantes ne disparaissent pas, et qu’elles puissent, par leurs mouvements mesurés et la trame variée de leurs formes, accomplir ce que j’oserai appeler leurs poèmes dans le temps, il faut, n’en doute pas, qu’il y ait une forme éternelle et. Immuable, qui ne soit pas elle-même étendue et comme répandue dans l’espace, ni prolongée et variable dans le temps. C’est par elle que toutes ces choses peuvent être formées, et, chacune selon son genre, occuper les nombres de l’espace et traverser les nombres de la durée.



CHAPITRE XVII. TOUT BIEN ET TOUTE PERFECTION VIENNENT DE DIEU.

45. En effet, tout ce qui est susceptible de changement est nécessairement susceptible de forme. Or, comme nous appelons muable ce qui peut être changé, laisse-moi appeler formable ce qui peut prendre une forme. Mais aucune chose ne peut se former elle-même ; parce qu’aucune chose ne peut se donner ce qu’elle n’a pas, et que pour arriver à sa forme, une chose quelconque doit être formée. Si donc un objet donné a une forme, il n’a pas besoin de recevoir ce qu’il a ; si au contraire il n’en a pas, il ne peut prendre en lui-même ce qu’il n’a pas. Il n’est donc rien qui puisse, comme nous le disions, se former soi-même. Car il est inutile de revenir sur la mutabilité du corps et de l’âme : nous en avons assez parlé plus haut. Ainsi, est-il nécessaire que le corps et l’âme reçoivent leur forme d’une autre forme immuable et permanente. C’est à celle-ci qu’il a été dit : « Tu les changeras, et ils oseront changés. Pour toi, tu es toujours le même, et tes années sont sans défaillance (1). » Par cette locution, années sans défaillance, le prophète exprime l’éternité. Il a été dit encore de cette forme que, « demeurant en elle-même a elle renouvelle toutes choses (2). » Par là on comprend aussi que la Providence

1. Ps. CI, 27, 28. — 2. Sag. VII, 27.

gouverne toutes choses. Car si toutes les choses qui sont perdaient leur être en étant dépouillées de leurs formes, c’est que cette forme immuable, par laquelle tous les êtres sujets au changement subsistent et sont en état d’occuper et de parcourir les nombres de leurs formes, est elle-même leur providence : car ils ne seraient pas, si elle n’était pas. Ainsi, tout homme qui regardant et considérant l’universalité des êtres créés, chemine vers la sagesse, voit la sagesse se montrer à lui sur lé chemin avec un visage joyeux, et venir à sa rencontre avec le cortége de sa Providence ; et alors il désire avec une ardeur d’autant plus vive d’achever son voyage, que le chemin lui-même emprunte toute sa beauté à la sagesse, qu’il brûle d’atteindre. 46. Pour toi, si, outre les créatures douées de l’existence et non de la vie ni de l’intelligence, celles qui ont reçu l’existence et la vie, et celles qui réunissent à la fois l’existence, la vie et l’intelligence, tu en trouves de quelque autre espèce, je te permettrai de dire qu’il y a des biens qui ne viennent pas de Dieu. Du reste, ces trois genres peuvent être désignés par deux noms seulement : on peut les appeler corps et vie. Car à la créature qui a la vie sans avoir l’intelligence, comme la bête, et à celle qui a l’intelligence aussi, comme l’homme, s’applique parfaitement le mot vie. Or ces deux choses, le corps et la vie, qui sont communiquées, à la création (la vie est aussi au créateur, et c’est la vie suprême) : ces deux créatures, dis-je, le corps et la vie, étant formables comme nous l’avons reconnu, et retombant dans le néant si elles perdaient entièrement leurs formes, montrent bien qu’elles subsistent par cette forme qui est toujours la même. Donc tous les biens, grands ou petits, ne peuvent venir que de Dieu. Car que peut-il y avoir de plus grand dans les créatures, sinon la vie intelligente, et de moindre, sinon les corps ? Quoiqu’ils soient sujets à la défaillance, et qu’ils tendent au néant, ils conservent néanmoins toujours une certaine forme, en sorte qu’ils ont toujours un certain mode d’existence. Or le moindre degré de forme qui reste dans un être défaillant vient de cette forme qui ne peut défaillir, et qui ne permet jamais aux mouvements mêmes des choses qui défaillent et s’en vont, de sortir de la loi des nombres. Donc tout ce que les créatures renferment d’admirable, et quel que soit le degré de beauté que nous