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œuvres ; et tandis que tu retombes dans les choses extérieures, elle te rappelle au dedans de toi-même par les formes mêmes des choses extérieures. Tout ce qui te délecte dans les corps, tout ce qui t’attire par tes sens corporels, elle te le fait voir plein de nombres, elle t’invite à en rechercher l’origine, à rentrer en toi-même et à comprendre que tu ne pourrais rien approuver ni désapprouver de ce que tu saisis par tes sens extérieurs, si tu n’avais pas près de toi certaines règles du beau, pour apprécier toutes les beautés extérieures dont tu as le sentiment. 42. Contemple le ciel, et la terre et la mer, tout ce qui brille en haut, tout ce qui rampe en bas, tout ce qui vole et nage : il y a là des formes, parce qu’il y a là des nombres. Ote ceux-ci, celles-là ne sont plus rien. Qui donc est leur auteur sinon l’auteur du nombre ? d’autant plus que l’être qui est en elle est en raison du nombre qui s’y trouve. Vois encore les artistes qui travaillent sur les formes corporelles, ils ont aussi les nombres dans leur art, pour organiser leurs ouvrages. Ils meuvent leurs mains et manient leurs outils, jusqu’à ce que l’objet d’art qu’ils travaillent atteigne autant que possible la perfection d’une forme extérieure qui corresponde à la vue lumineuse qu’ils ont intérieurement des nombres ; jusqu’à ce que cet objet obtienne, au moyen du truchement des sens, l’agrément du juge intérieur qui a les yeux fixés sur les nombres supérieurs. Cherche ensuite le moteur des bras de l’artiste lui-même : c’est le nombre ; car ses membres se meuvent avec calcul ; si tu lui ôtes des mains l’ouvrage qu’il fait et de l’esprit l’intention de le faire ; si néanmoins il veut encore mouvoir ses membres par plaisir, cette action s’appellera la danse. Cherche donc aussi ce qui fait plaisir dans la danse ; le nombre te répondra encore : c’est moi. Dans un corps, regarde la beauté de la forme : ce sont les membres occupant le lieu ; regarde la beauté du mouvement : ce sont les nombres opérant dans le temps. Pénètre dans l’art d’où ils procèdent, cherche dans cet art le temps et le lieu : tu n’y trouveras jamais l’un, ni nulle part l’autre. Cependant le nombre est vivant dans l’art ; mais sa région n’est point celle des espaces, ni sa durée celle des jours. Considère enfin ceux qui veulent devenir artistes et qui font l’apprentissage d’un art. Ils meuvent leurs corps dans les lieux et les temps, et leur âme dans le temps seulement, puisque c’est avec le temps qu’ils deviennent habiles. Elève-toi donc encore au-dessus de l’âme de l’artiste, si tu veux voir le nombre éternel. Alors la sagesse t’apparaîtra sur son siège intérieur, et du fond même du sanctuaire de la vérité tu verras briller son éclat. Et si ton regard est encore trop faible pour le refléter, reporte l’œil de ton esprit dans la voie où elle se montrait à toi avec un visage joyeux. Souviens-toi pourtant que tu ne fais que différer ta contemplation, et que tu y reviendras, lorsque ton regard sera plus sain et plus vigoureux. 43. Malheur à ceux qui t’abandonnent, ô guide ! pour s’égarer sur tes traces. Malheur à ceux qui prenant tes signes pour toi-même, les aiment au lieu de t’aimer, et oublient ce que tu veux leur faire entendre, ô sagesse, suave lumière de l’âme purifiée ! Car tu ne cesses de nous signifier et ta nature et ta grandeur ; et tes signes sont la beauté même de toutes les créatures. Eh ! l’artiste humain lui-même fait signe au spectateur qui contemple la beauté de son ouvrage, de ne pas s’y arrêter tout entier, mais de parcourir du regard sa statue pour le reporter affectueusement sur celui qui l’a sculptée. Ceux qui aiment tes œuvres au lieu de t’aimer sont semblables à ces auditeurs d’un sage éloquent. qui écoutant avec avidité le doux son de sa voix et l’harmonieux arrangement des mots qu’il prononce, perdent le sens magistral des pensées, dont ces mots ne sont que le signe retentissant. Malheur à ceux qui se détournent de la lumière, et qui croupissent mollement dans leurs ténèbres. Ils te tournent le dos, et s’enfoncent dans l’ouvrage charnel comme dans leur ombre, sans s’apercevoir que cela même qui les y délecte, est un rayon échappé de la sphère lumineuse de ta beauté ! Cependant tandis qu’ils aiment l’ombre, l’ombre rend leurs yeux plus faibles, et plus impuissants à jouir de ta vue. Ainsi l’homme s’enténèbre de plus en plus, à mesure qu’il poursuit plus volontiers les objets qui blessent plus doucement sa faiblesse. Dès lors il commence à ne pouvoir plus voir les sommités de l’être, et à regarder comme un mal tous les mécomptes de son imprudence, toutes les séductions de son indigence et les tourments de son esclavage. Cependant ces peines qu’il souffre, il les a méritées par sa perversion, et ce qui est justice ne peut être un mal.