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en les mentionnant ; ou bien l’une des deux existe-t-elle par l’autre, ou subsiste-t-elle dans l’autre ? je veux dire : le nombre existe-t-il par la sagesse, ou subsiste t-il dans la sagesse ? Car que la sagesse existe par le nombre ou subsiste dans le nombre, c’est ce que je n’oserais pas dire. Je ne sais pourquoi ; mais j’ai tant connu de calculateurs, d’arithméticiens, ou n’importe comme on les nomme, sachant parfaitement et admirablement compter,, et d’autre part j’ai rencontré si peu de sages, et peut-être point, que- la sagesse m’apparaît beaucoup plus digne de respect que le nombre. A. Tu dis une chose qui d’ordinaire m’étonne moi-même. En effet, si je réfléchis en moi-même à l’inaltérable vérité des nombres, si je considère ce que j’appellerai la retraite, le sanctuaire, la région sublime, je voudrais trouver un nom plus exact, pour désigner l’habitation et le siège des nombres ; alors je me sens bien éloigné du monde corporel, et si je trouve des pensées, je n’ai pas des paroles pour suffire à les exprimer. Et je reviens, comme fatigué, dans notre sphère, pour pouvoir parler, et dire les choses visibles à nos yeux comme on a coutume de les dire. Il m’en arrive autant lorsque je pense à la sagesse, selon mon pouvoir, avec toute l’attention et tout le soin dont je suis capable. C’est pour cela que je m’étonne beaucoup à la pensée de ces deux choses habitant ensemble dans le profond sanctuaire de l’indubitable vérité, comme le confirme le témoignage des Ecritures, qui les unissent en les citant, comme je l’ai rappelé ; je m’étonne beaucoup, dis-je, de ce que le nombre est de si vil prix, et la sagesse de si haute valeur aux yeux de la multitude. Mais bien certainement, ce sont comme une seule et même chose. Toutefois, comme il est dit de la sagesse dans les Livres divins « qu’elle atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et qu’elle dispose tout avec douceur (1), » j’incline à penser que la puissance par laquelle elle atteint avec force d’une extrémité à l’autre, est le nombre, tandis que celle par laquelle elle dispose tout avec suavité serait proprement la sagesse, quoique les deux opérations appartiennent à une même et unique sagesse. 31. Mais elle a donné les nombres à toutes choses, même aux plus infimes et à celles qui sont placées aux limites de l’existence ; et tous les corps, bien que les plus bas dans l’échelle

1. Sag. VIII, 1.

des êtres, ont leurs nombres ; au contraire, elle n’a point donné d’être sages ni aux corps ni même à toutes les âmes, mais seulement aux âmes raisonnables, dans lesquelles elle semble avoir établi son trône, pour de là disposer toutes ces choses, même les plus infimes auxquelles elle a donné les nombres. Aussi, parce que nous jugeons facilement des corps, comme de choses ordonnées au-dessous de nous-mêmes, et parce que nous y voyons les nombres imprimés au-dessous de nous, nous estimons peu ces nombres. Mais si nous relevons nos yeux abaissés, pour regarder en haut, nous trouvons que les nombres surpassent même notre esprit, et que, inaltérables, ils font leur résidence dans la vérité elle-même. D’un autre côté, comme peu d’hommes savent être sages., et que les sots eux-mêmes ont le don de calculer, les hommes admirent la sagesse, et méprisent les nombres. Mais il n’en est pas ainsi des doctes et des studieux : plus ils s’élèvent au-dessus de la boue terrestre, plus ils contemplent le nombre et la sagesse tout ensemble dans la vérité elle-même ; et l’un et l’autre leur sont également chers ; et en comparaison de cette vérité, ce n’est pas seulement l’or, l’argent et toutes ces autres choses que se disputent les hommes, c’est eux-mêmes qui deviennent vils à leurs propres yeux. 32. Tu ne devrais pas t’étonner de voir les nombres méprisés des hommes, et la sagesse estimée d’eux, parce qu’on peut plus facilement calculer qu’être sage. Car tu les vois de même estimer plus l’or que la lumière d’une lampe, à laquelle on n’oserait comparer l’or sans rire, mais celle des deux choses qui est bien inférieure à l’autre est tenue en honneur, parce que le mendiant lui-même allume sa lampe, tandis que l’or est aux mains d’un petit nombre. Ce n’est pas que je veuille qu’on trouve la sagesse inférieure au nombre, puisque c’est la même chose ; mais elle demande des yeux qui puissent la voir. Dans un feu unique, les sens perçoivent la lumière et la chaleur qui sont consubstantielles, pour ainsi parler ; et cependant la chaleur n’arrive qu’aux objets qu’on en approche, tandis que la lumière s’étend au loin et au large. Il en est de même de la sagesse et du nombre. Par la puissance de l’intelligence inhérente à la sagesse, on voit entrer comme en ébullition les êtres les plus rapprochés d’elle, je veux dire les âmes raisonnables ; tandis que les êtres plus éloignés, comme sont