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l’œil avec le même désir que lorsqu’elle ne voit pas, et elle montre ainsi qu’elle sent l’un et l’autre. Quant à savoir si la vie se sent elle-même, elle qui sent qu’elle sent les choses corporelles, il n’est pas aussi facile de s’en rendre compte ; cependant quiconque s’examine lui-même trouve que tout être vivant fuit la mort, et comme la mort est contraire à la vie, il est nécessaire que la vie se sente aussi elle-même pour fuir son contraire. Que si ce point n’est pas encore parfaitement éclairci, laissons-le, afin de ne tendre à notre but que par des preuves certaines et manifestes. Or voici ce qui est manifestement prouvé. le sens corporel sent les choses corporelles ; mais il ne peut avoir le sentiment de lui-même ; le sens intérieur, lui, a le sentiment des choses corporelles par le sens corporel, et le sentiment du sens corporel lui-même ; quant à la raison, elle connaît toutes ces choses, elle se connaît elle-même, elle en fait l’objet de la science. Vois-tu autrement ? — E. Non certes. — A. Eh bien ! maintenant parle à ton tour et reprends la question que nous désirions résoudre et dont nous avons cherché la solution en suivant cette route assez longue.



CHAPITRE V. LE SENS INTÉRIEUR L’EMPORTE SUR LES SENS EXTÉRIEURS DONT IL EST LE MODÉRATEUR ET LE JUGE.

11. E. Si ma mémoire est fidèle, des trois questions que nous avons posées tout à l’heure avant de suivre l’ordre de cette discussion, nous traitons actuellement la première : comment peut-on prouver évidemment ce que nous croyons d’une foi ferme et inébranlable : l’existence de Dieu ? — A. Ta mémoire est fidèle sur ce point. Mais rappelle-toi aussi, je te prie, que quand je t’ai demandé si tu savais que tu existes, la connaissance de ce fait n’est pas venue seule, mais bien accompagnée de deux autres. — E. Je me le rappelle aussi. — A. Vois donc maintenant auquel de ces trois faits se rapporte tout ce qui tombe sous les sens corporels, en d’autres termes, dans quelle catégorie penses-tu qu’il faille ranger tout ce qui tombe sous notre sens au moyen des yeux, ou de tout autre organe corporel ? est-ce dans la’ classe des choses qui ont seulement l’existence, ou de celles qui ont en outre la vie, ou enfin de celles qui ont aussi l’intelligence ? — E. Dans la classe des simples existences. — A. Mais le selfs lui-même, dans quel ordre le places-tu ? — E. Dans celui des êtres vivants. — A. Et quel est à ton avis le meilleur des deux, du sens ou de l’objet qui tombe sous le sens ? E. Le sens assurément. — A. Pourquoi ? — E. Parce que ce qui vit est meilleur que ce qui n’a que l’existence. 12. A. Et ce sens intérieur que nous avons reconnu plus haut être au-dessous de la rai. son, et commun encore à nous et aux bêtes, hésiteras-tu à le préférer à ce sens qui atteint les corps, et que tu as reconnu tout à l’heure être lui-même préférable ad corps ? — E. Je n’hésiterai nullement. — A. Je voudrais aussi savoir de toi pour quel motif tu n’hésites pas. Tu ne pourras pas dire que ce sens intérieur doive être rangé dans celle des trois catégories qui comprend les êtres parvenus jusqu’à l’intelligence ; mais seulement dans celle des êtres existants et vivants, à qui l’intelligence manque, car les bêtes qui n’ont pas l’intelligence ont ce sens intérieur. Alors je te demande pourquoi tu préfères le sens intérieur au sens qui perçoit les choses corporelles, puisque tous deux font partie de la classe des êtres vivants. Tu as préféré le sens qui atteint les corps aux corps eux-mêmes, par la raison que ceux-ci font partie des simples existences, tandis que celui-là appartient au genre vivant. Puisque c’est à ce même genre qu’appartient le sens intérieur, dis-moi pour quel motif tu l’estimes supérieur à l’autre ? Si tu me réponds : c’est parce que le premier perçoit le second, cette raison impliquerait que tout être sentant est meilleur que ce qui est senti par lui : règle que tu ne voudrais pas poser, de crainte d’être amené à dire aussi que tout être intelligent vaut mieux que ce qui est perçu par son intelligence. Or ceci est faux, car l’homme a l’intelligence de la sagesse, et il n’est certainement pas meilleur qu’elle. Cherche donc pour quelle raison il t’a paru que le sens intérieur doit être préféré au sens qui perçoit les corps. E. C’est parce que je sais que le premier est comme le modérateur et le juge du second. Car si le second commet quelque faute en remplissant son office, le premier lui en demande raison comme à son serviteur, ainsi que nous l’avons constaté plus haut. Et en effet, le sens des yeux ne voit pas qu’il voit ou qu’il ne voit pas ; et pour cela, il ne peut juger