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parles ici absolument comme s’il était évident que nous n’ayons jamais été sages ; car tu ne liens compte que du temps depuis lequel nous sommes dans cette vie. Mais comme la sagesse réside dans l’âme, notre âme n’a-t-elle point joui de quelque autre vie avant d’être unie à ce corps ? C’est là une grande question, un grand mystère que nous scruterons en son heu. Toutefois, les données que nous avons actuellement ne sont pas telles, que nous ne puissions éclaircir le problème. 25. En effet, je te demanderai d’abord s’il existe en nous quelque volonté. — E. Je n’en sais rien. — A. Veux-tu le savoir ? — E. Je ne le sais pas davantage. — A. Alors brisons là, et ne me fais plus aucune question.— E. Pourquoi ? — A. Parce que je ne dois pas répondre à tes demandes, si tu ne veux pas savoir la réponse à tes questions. De plus, si tu ne veux pas parvenir à la sagesse, il est inutile de discourir avec toi sur ces matières. Enfin, tu ne pourras plus être mon ami, si tu ne me veux du bien. Et quant à ce qui te regarde personnellement, vois si tu n’as aucune volonté d’être toi-même heureux. — E. Je l’avoue, nous ne pouvons nier que nous avons de la volonté. Continues donc, et voyons ce que tu bâtiras là-dessus. — A. J’y consens. Mais dis-moi auparavant si tu as la conscience d’avoir une bonne volonté. — E. Qu’est-ce que la bonne volonté ? — A. C’est la volonté par laquelle nous désirons mener une vie droite et honnête et parvenir à la suprême sagesse. Vois donc tout de suite si tu ne désires pas cette vie honnête et droite, si tu ne veux pas fortement devenir sage, ou du moins si tu oses nier que, quand nous voulons ainsi, nous avons une bonne volonté. — E. Je ne nie rien de tout cela ; et par conséquent, je reconnais que non seulement j’ai de la volonté, mais encore une bonne volonté. — A. Combien, dis-moi, estimes-tu cette volonté ? Penses-tu qu’on puisse mettre en comparaison avec elle ou les richesses, ou les honneurs, ou les voluptés du corps, ou toutes. ces choses ensemble ? — E. Dieu me préserve de cette criminelle folie ! — A. Nous avons donc dans l’âme une chose, à savoir cette bonne volonté même, en présence de laquelle paraissent viles et abjectes toutes ces choses que j’ai énumérées et que poursuit la multitude des hommes par toutes sortes de travaux et à travers tous les dangers ? Devons-nous nous réjouir de la possession d’un si grand bien ? — E. Oui, il faut s’en réjouir, et grandement. — A. Eh bien ! ceux qui n’ont pas cette joie. crois-tu qu’ils fassent une perte légère dès qu’ils sont privés d’un si grand bien ? — E. J’estime au contraire cette perte immense. 26. A. Tu vois donc maintenant, je pense, que la jouissance ou la privation d’un bien si grand et si vrai est en notre volonté. Car, qu’est-ce qui est plus en notre volonté que notre volonté elle-même ? Quiconque possède la bonne volonté, possède certainement un bien infiniment préférable à tous les royaumes terrestres et à toutes les voluptés du corps. Au contraire, quiconque ne la possède pas, est assurément privé d’un bien qui l’emporte sur tous ceux qui ne sont point en notre pouvoir, et que la volonté seule lui donnerait par elle-même. Si donc un pareil homme se juge très-misérable quand il a perdu une glorieuse renommée, de grandes richesses et tous les biens du corps, ne le jugeras-tu pas bien misérable à ton tour, lors même qu’il jouirait de tout en abondance, s’il s’attache à toutes ces choses qu’il peut perdre très-facilement, qu’il n’a pas quand il le veut, tandis qu’il se prive de cette bonne volonté qui leur est si supérieure et qu’il suffit de vouloir pour l’avoir, toute précieuse qu’elle est ? — E. C’est très-vrai. — A. C’est donc avec beaucoup de raisons que les insensés sont affligés de cette misère, quand même ils n’auraient jamais été sages, question douteuse et très-profonde comme nous l’avons dit. — E. Je l’admets.



CHAPITRE XIII. LA VIE HEUREUSE COMME LA VIE MISÉRABLE DÉPEND DE NOTRE VOLONTÉ.

27. A. Réfléchis maintenant, et dis-moi si la prudence n’est pas la science des choses qu’il faut rechercher et de celles qu’il faut éviter ? E. Cela me paraît ainsi. — A. Et la force, n’est-ce pas ce sentiment de l’âme qui nous fait mépriser toutes les incommodités, et la perte des choses qui ne sont point en notre pouvoir ? — E. Je le crois. — A. Puis, qu’est-ce que la tempérance, sinon ce sentiment qui comprime et enchaîne le désir des choses qu’on ne peut désirer sans honte ? Penses-tu autrement ? — E. Ici encore je pense comme tu parles.— A. Enfin que dirons-nous de la justice, si ce n’est