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E. Nous l’avons déjà remarqué, c’est clair. — A. Ainsi, tu sais maintenant ce que tu disais ignorer, c’est-à-dire que les êtres vivants ne savent pas tous qu’ils vivent, mais que quiconque se sait vivre, est nécessairement vivant. 17. E. Il n’y a plus de doute pour moi. Poursuis. J’ai suffisamment compris que autre chose est vivre, autre chose savoir qu’on vit. — A. Lequel des deux te semble le plus noble ? — E. N’est-ce pas, à ton avis, la science de la vie ? — A. Est-ce la science de la vie qui te paraît meilleure que la vie ? Ou bien l’entends-tu en ce sens que la science est une vie plus haute et plus pure que possède celui-là seul qui est doué d’intelligence ? Or, être intelligent, qu’est-ce, sinon vivre d’une vie plus parfaite et plus lumineuse, vivre de la lumière rationnelle elle-même ? Donc, si je ne me trompe, ce n’est pas une chose différente de la vie que tu lui préfères, mais bien une vie meilleure que tu mets au-dessus d’une vie moindre. — E. Tu as parfaitement saisi et complètement expliqué mon sentiment ; à la condition toutefois que la science ne puisse jamais être mauvaise. — A. Elle ne peut l’être à mon avis, à moins qu’on ne prenne un mot pour un autre, et qu’on ne confonde la science avec l’expérience ; l’expérience n’est pas toujours un bien : témoin celle d’un supplicié. Mais la science proprement dite, la science pure, qui s’acquiert par la raison et l’intelligence, comment pourrait-elle être un mal ? — E. Je saisis encore cette différence ; poursuis.



CHAPITRE VIII. LA RAISON QUI PLACE L’HOMME AU-DESSUS DES ANIMAUX DOIT DOMINER EN LUI-MÊME.

18. A. Voici ce que je veux dire : ce qui place l’homme au-dessus des animaux, de quelque nom qu’on l’appelle, pensée, esprit (nous trouvons l’un et l’autre dans les livres divins), doit dominer en lui et commander à tous les autres éléments constitutifs de sa nature ; et c’est à cette condition que l’homme sera parfaitement ordonné. En effet, il y a en nous bien des choses qui nous sont communes, non-seulement avec les animaux, mais même avec le bois et les plantes. Ainsi, l’alimentation du corps, la croissance, la génération, le développement physique, appartiennent aux arbres même, dont la sphère vitale est des plus étroites. D’un autre côté, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher, tous ces sens corporels existent chez les bêtes, et la plupart les possèdent à un plus haut degré que nous-mêmes ; c’est un fait visible et que tout le monde reconnaît. Ajoute à cela les forces, la vigueur et la solidité des membres, la promptitude et la souplesse des mouvements du corps, par lesquelles nous leur sommes tantôt supérieurs, tantôt égaux, tantôt même inférieurs. Nous faisons encore partie du genre animal, en compagnie des bêtes. Or, l’activité animale se concentre tout entière dans la recherche des voluptés et la fuite des souffrances corporelles. On trouve de plus dans l’homme certains actes qui paraissent étrangers aux animaux, comme la plaisanterie et le rire ; mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus élevé en lui : et quiconque juge la nature humaine avec un sens parfaitement droit, estime que si ces choses appartiennent à l’humanité, elles sont ce qu’il y a de plus infime en elle. Viennent ensuite l’amour de la louange et de la gloire, le désir de la domination ; si les bêtes ne les ont pas, nous sommes forcés néanmoins d’admettre que ce n’est pas par ces passions que nous sommes meilleurs qu’elles. Car lorsque cette sorte d’appétits n’est pas soumise à la raison, elle nous rend misérables ; et personne n’a jamais songé à se faire un titre de sa misère pour se préférer à quoi que ce soit. Donc, lorsque la raison domine ces mouvements de l’âme, on doit dire que l’homme est dans l’ordre. Car il n’y a pas d’ordre parfait, il n’y a pas d’ordre du tout, lorsque les choses meilleures sont soumises aux plus mauvaises. Ne penses-tu pas ainsi ? — E. Cela est évident. — A. Donc lorsque cette raison, pensée ou esprit, règle les mouvements irrationnels de l’âme, il faut dire que ce qui domine dans l’homme est ce qui doit y dominer en vertu de cette loi que nous avons reconnu être la loi éternelle. — E. Je comprends et je te suis.



CHAPITRE IX. L’EMPIRE OU L’ASSERVISSEMENT DE LA RAISON CARACTÉRISENT LE SAGE ET L’INSENSÉ.

19. A. Lorsqu’un homme est ainsi établi dans l’ordre, ne te paraît-il pas sage ? — E. Si celui-là ne paraît pas digne de ce nom, je doute qu’on en puisse trouver un autre. —